Association française pour l’étude du sol : L’AFES, une « société savante » pour garder les pieds sur terre

Association française pour l’étude du sol : L’AFES, une « société savante » pour garder les pieds sur terre

Depuis presque 100 ans, l’Afes favorise le développement de la science du sol. Si la place occupée par la discipline est en pleine mutation, beaucoup reste à faire. À l’occasion de la Journée mondiale des sols, début décembre 2022, Jacques Thomas, son président, et Sophie Raous, sa coordinatrice, évoquent l’urgence d’une prise de conscience.

Pourquoi il est important de préserver ou régénérer les sols agricoles ?
Sophie Raous : Pas seulement les sols agricoles ! C’est un enjeu pour tous les sols car leur bon fonctionnement est à la base de services que nous utilisons chaque jour : alimentation, filtrage, stockage de l’eau, captation du carbone… Préserver ce patrimoine, c’est aussi maintenir une biodiversité. Il faut savoir par exemple que les premiers antibiotiques ont été synthétisés à partir de bactéries qui vivent dans le sol.
Jacques Thomas : Il y a 70 ans, le choix s’est porté sur l’agriculture intensive en considérant le sol comme un support. Aujourd’hui bon nombre de sols ne bouclent pas leur cycle biogéochimique. Les teneurs en matières organiques en France ont chuté. Certaines terres en comptent 1 à 1,5 % contre 4 à 6 % dans les années 1930. À l’échelle européenne, 70 % de nos sols sont dégradés.

Quelles sont les pratiques qui se développent ?
S. R. : L’entrée par modèle ne nous correspond pas. L’agriculture de conservation des sols continue de répandre des pesticides et perturbe le fonctionnement des sols. L’agriculture biologique travaille le sol et produit aussi un impact important sur la biodiversité. Nous souhaitons en revanche encourager l’observation des sols par le plus grand nombre d’acteurs.
J. T. : Il existe beaucoup de techniques et autant de chapelles ! Le maître mot : « travailler en bonne intelligence avec le sol », remettre de la vie dans les sols et le faire de façon naturelle. Sous prétexte de modernité, il ne faut pas reproduire les erreurs en amendant la terre de façon massive.

Quels sont les principaux acteurs de la préservation des sols agricoles ?
J. T. : Les agriculteurs ont la clé du succès et les autres acteurs doivent être à leur service. Il faut leur redonner le pouvoir de piloter leur entreprise. Cela passe par une appropriation du savoir par le paysan. Bruno Latour, philosophe et sociologue des sciences , disait : « qu’il faut que l’on passe du paysan chercheur au chercheur paysan ». Les deux sont indispensables pour constituer un laboratoire vivant.

Quel regard portez-vous sur les start-up qui émergent dans le domaine du sol en agriculture ? L’AgTech est-elle un accélérateur de solutions pour préserver les sols agricoles ?
S. R. : Nous plaidons pour une multiplication des structures aptes à transférer les résultats de la recherche pour en faire des outils de gestion sur les territoires. En cela, les start-up ont leur utilité. Celles issues d’un véritable travail de recherche ont ancré la rigueur d’une démarche scientifique dans leur fonctionnement. Mais en la matière, il y a une telle profusion d’informations qu’il est difficile pour tout un chacun de distinguer le vrai du faux.
J. T. : Sur les réseaux sociaux, la propagation de fake news est épidémique. Il nous est apparu vain de répliquer à ces fausses informations. Nous avons préféré permettre la réflexion sur des cas particuliers et faire la promotion des outils d’apprentissage de qualité. Dans les faits, nous recommandons des ouvrages, des outils, des supports multimédias et les formations adaptées. Notre centre de ressources en cours de « refonte » sera mis en ligne en 2023.

Quels sont les besoins en compétences nécessaires pour accompagner les changements de pratiques ?
S. R. : Il faut donner des moyens supplémentaires à la formation pour libérer les chercheurs, afin qu’ils jouent leur rôle d’expertise neutre et scientifique. Au-delà, il y a un vrai besoin de médiateur scientifique thématisé pour faire le lien entre les acteurs scientifiques, politiques et économiques. Il faut orienter les moyens vers une sensibilisation, information et formation massives de tous les acteurs pour une prise de conscience du caractère central des sols. C’est notamment l’objectif porté par la fresque du sol, « jeu sérieux », présentée lors de la Journée mondiale des sols à Toulouse, début décembre 2022. La conception de ce jeu s’est appuyée sur un groupe d’une vingtaine de chercheurs et vise à diffuser massivement des connaissances scientifiquement validées. Accessible au plus grand nombre, il sera livré à l’Ademe en 2023.

La question du sol est-elle assez abordée dans l’enseignement agricole ?
S. R. : La question est abordée, mais c’est la façon de le faire qui pose question. Toutes les formations ne prévoient pas une vision du terrain pour faire un profil pédologique du sol et non pas une simple approche agronomique sur les trente premiers centimètres. Idem pour la multifonctionnalité du sol. Pour y parvenir, il y a un enjeu de former davantage d’enseignants à cette approche pédologique. Dans cette optique, nous travaillons avec les réseaux mixtes technologiques Sols et Territoires sur la réalisation d’un recueil pédagogique pour les outiller. Ce recueil sera publié dans la collection « Approches » des éditions Educagri.
J. T. : Beaucoup ont une connaissance livresque des choses et assez peu pratique. Il faut apprendre la pédologie comme nous le faisions dans les années 1980, avec notamment un troisième cycle dédié.

Lors de la 8e journée mondiale des sols s’est tenue une conférence de Marc-André Selosse sur le thème « les sols : à l’origine de notre alimentation ? ». Pourquoi ce thème ?
S. R. : Ce thème, donné par la Food and Agriculture Organisation (FAO) relève d’un constat simple : la population mondiale augmente, les problèmes de malnutrition aussi. Le lien avec la qualité des sols est moins évident, mais il existe. L’objet de ces journées était de sensibiliser les 300 jeunes présents au lien entre les deux.
J. T. : N’oublions pas que 95 % de notre alimentation vient directement du sol. Inutile d’aller sur Mars, il faut garder les pieds bien sur Terre et en prendre soin.

— Propos recueillis par Renaud de MONTBRON (Tribune Verte 3005)

L’AFES, RELAIS FRANÇAIS DE LA JOURNÉE MONDIALE DES SOLS

Créée en 1934, l’Association française pour l’étude du sol intègre la catégorie des « sociétés savantes ». Sous l’impulsion d’Albert Demolon, ingénieur agronome, elle rassemble les experts dans l’étude des sols : chercheurs, enseignants, étudiants, techniciens, agriculteurs et tout acteur de la société civile en lien avec le sujet. L’objectif : contribuer à diffuser et partager les connaissances scientifiques, et développer des recherches. L’Afes est par ailleurs présente au sein d’instances s’intéressant aux sols. Parmi cellesci : le Comité national de la biodiversité, le Comité français d’étude et de développement de la fertilisation raisonnée ou l’Association française d’agronomie. Branche française de l’Union internationale des sciences du sol (IUSS, International Union of Soil Sciences), l’Afes organise chaque année depuis neuf ans la Journée mondiale des sols. L’événement français qui s’est tenu cette année sur six jours, est une plateforme de sensibilisation afin de faire reconnaître les sols comme élément essentiel du système naturel et du bien-être humain. Au programme : tables rondes, conférences, rencontres agriculteurs-chercheurs en salle et sur le terrain, et découverte grand public.