Faire de l'entretien professionnel : un levier de management

Faire de l'entretien professionnel : un levier de management

Avec la crise sanitaire, l’entretien professionnel prendra cette année un relief particulier. Il sera un moment clé pour renforcer l’engagement des collaborateurs en leur donnant des perspectives d’évolution.

La crise sanitaire a bouleversé cette année la campagne des entretiens professionnels. Non seulement la date butoir a été repoussée par deux fois, au 30 décembre 2020 puis au 30 juin 2021, mais la pandémie a également décuplé l’intérêt de cet exercice. En télétravail ou en activité partielle, un grand nombre de salariés ont eu le temps, durant ces longs mois de parenthèse, d’effectuer un travail d’introspection sur leur situation professionnelle et sur leurs souhaits d’évolution. Côté employeur, il s’agira, au-delà de l’exigence légale, de profiter de ce moment charnière pour prendre le pouls du terrain, de rassurer les esprits inquiets, de maintenir l’engagement des collaborateurs et de renforcer le sentiment d’appartenance à l’entreprise. Pas une mince affaire… Pour rappel, c’est la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle qui a rendu obligatoire cet entretien professionnel. En cas de non-respect, l’employeur s’expose au risque de devoir abonder le compte personnel de formation (CPF) du salarié à hauteur de 3 000 euros. L’entretien professionnel a lieu tous les deux ans ou à l’occasion d’une reprise d’activité professionnelle après une longue période d’interruption, comme un retour de congé de maternité, d’un congé sabbatique ou un arrêt maladie de longue durée. Se distinguant clairement de l’entretien annuel de fin d’année, l’entretien professionnel a vocation non pas d’évaluer les performances d’un salarié mais de le guider dans ses perspectives d’évolution professionnelle (changement d’activité ou de métier, mobilité interne, promotion) et de l’aider à identifier ses besoins de formation.

Un moment privilégié

Ce moment clé dans la vie professionnelle d’un collaborateur prend un relief particulier avec la crise et les incertitudes qu’elle fait naître. Plus que jamais, il aura besoin d’être rassuré sur la santé économique de son entreprise et sur le rôle qu’il y occupera dans les mois et les années à venir.

Attendu avec impatience, cet entretien sera aussi l’occasion d’avoir un moment d’échanges privilégié avec son manager. Bien sûr, s’il est conduit en visioconférence, cet entretien perdra en qualité, puisqu’il est basé sur la qualité de la relation humaine. En effet, la visioconférence ne permet pas cette communication non verbale qui donne de précieux enseignements sur l’état d’esprit des intervenants. Pour Alexandre Malarewicz, cofondateur d’Empowill, « la crise a également fait surgir des inquiétudes sur l’évolution des métiers et des compétences. Salariés et managers sont de plus en plus sensibilisés au fait que l’obsolescence d’une compétence métier est de plus en plus rapide et que, pour rester compétitif, il est nécessaire de se former en permanence ». La pandémie a aussi mis en avant l’importance de certaines compétences comportementales, comme la gestion du temps et du stress, la faculté d’adaptation et le sens de l’autonomie. Dans ce contexte, la préparation, qui est un facteur clé de la réussite d’un entretien professionnel, l’est plus encore, selon Alexandre Malarewicz (lire notre interview ci-dessous).

Comme d’autres processus RH, une campagne d’entretiens professionnels peut être digitalisée. Un gain de temps important dans la distribution des formulaires puis de leur recueil en comparaison à une manipulation papier. Le numérique permet surtout de consolider les données en centralisant l’historique des formations, des certifications et des évaluations. Les éditeurs d’Empowill, d’eScale ou d’Elevo se positionnent sur ce créneau.

Étude : ENTRETIEN D’ÉVALUATION OU ENTRETIEN D’ÉVOLUTION ?

Une étude du Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications) de 2018 montre qu’il existe encore une confusion entre entretien annuel d’évaluation et entretien professionnel. 80 % des salariés interrogés affirment que ce dernier a porté au moins en partie sur l’évaluation de leur travail, contrairement à ce que précise pourtant explicitement l’article L6315-1 du Code du travail. À ce jeu, les PME et les grands comptes sont les plus mauvaises élèves. L’évaluation a été abordée dans 83 % d’entre elles, contre 61 % dans les TPE. En ce qui concerne les attentes exprimées par les salariés, les demandes de formation arrivent en tête, devant les souhaits de prendre davantage de responsabilités, de faire évoluer le contenu de son activité ou de changer de métier.

Avis d’expert : « LA CRISE A PU PROVOQUER DES ATTENTES SURDIMENSIONNÉES »

Alexandre Malarewicz, cofondateur d’Empowill

Quels seront les impacts de la crise sur la compagne des entretiens professionnels ?
Alexandre Malarewicz : L’entretien revêtira un l’enjeu plus important que les années précédentes. Il y a une forte attente de la part des salariés. Éloignés longtemps de leur entreprise pour certains, ils ont besoin de se reconnecter, de se sentir écoutés, de recréer du lien et de partager avec leur manager. Il s’agira de faire le point sur la façon dont ils ont vécu cette période, et comment ils se projettent dans leur avenir professionnel. Le moment pourrait être tendu. Chez lui, en télétravail, le salarié a pu ruminer de long mois et aura de nombreuses choses à dire. Bien mené, un entretien professionnel peut toutefois renforcer l’engagement du collaborateur et le sentiment d’appartenance à l’entreprise, la crise ayant distendu le lien social.

Comment aborder cet exercice ?
A. M. : Les managers et les managers RH ne sont pas forcément à l’aise. L’entretien d’évaluation, de son côté, est cadré (les objectifs ont-ils été remplis ?), alors que l’entretien professionnel nécessite de la prise de hauteur et davantage de préparation. Les RH doivent fournir le récapitulatif du parcours du salarié. Le manager doit, lui, sortir de son rôle traditionnel, axé sur la performance et l’expertise métier, pour prendre une posture de coach. Une trame de l’entretien doit être envoyée en amont au salarié pour qu’il puisse se préparer. Ce dernier peut aussi faire une évaluation à 360° en consultant ses collègues ou des managers afin de l’aider à se situer et à esquisser des perspectives d’évolution de carrière.

Quels sont les facteurs clés de réussite ?
A. M. : L’entretien professionnel est avant tout une histoire d’hommes et d’écoute. La crise a pu provoquer des craintes et des attentes surdimensionnées. Au manager d’arriver à faire coïncider les souhaits du collaborateur et les contraintes de l’entreprise. Il s’agit de ne pas surpromettre et surtout d’agir. Se contenter de noter une demande formation et ne pas revenir ensuite vers le salarié avec une réponse, positive ou négative, générerait de la déception et de la frustration. Un entretien professionnel exige un suivi. Un plan d’action concret doit être établi avec des points réguliers tous les X mois. Et si la demande n’aboutit pas, il faut le justifier factuellement. Cela exige du courage managérial.