La crise sanitaire accélère la digitalisation de la formation

La crise sanitaire accélère la digitalisation de la formation

Depuis le début de la pandémie, les entreprises forment massivement leurs salariés en distanciel. Une digitalisation de la formation qui s’inscrit dans une tendance de fond, mais qui nécessite néanmoins quelques prérequis.

La crise de la Covid-19 aura eu un double impact sur la politique de formation des entreprises. Du jour au lendemain, elles ont dû basculer en ligne des formations traditionnellement dispensées en salle, à grand renfort de modules de e-learning, de classes virtuelles, de Moocs et autres serious games. Selon le dernier baromètre européen de l’institut Cegos, les deux tiers des formations qui étaient initialement prévues en présentiel ont basculé sur un format en ligne. Depuis le début de la pandémie, ce sont ainsi 47 % des salariés français qui ont participé à au moins une formation à distance proposée par leur entreprise. Avec des taux de satisfaction proches de ceux que l’on observe en présentiel. Deuxième impact : la crise sanitaire a changé le contenu même des formations dispensées. Selon la même étude, les compétences comportementales arrivent en tête des aptitudes à renforcer (34 %), selon les responsables RH. Dans la période actuelle, le savoir-être prend le pas sur le savoir-faire, et des « soft skills » comme l’autonomie, l’adaptabilité, la gestion du stress ou le sens de l’organisation deviennent essentielles. Viennent ensuite les compétences digitales (33 %), nécessaires pour se servir des outils collaboratifs afin de travailler à distance, puis les compétences managériales (22 %). La généralisation du télétravail suppose, en effet, de former les managers aux nouvelles méthodes de management à distance.

La transformation numérique a préparé le terrain

Si la crise sanitaire rend obligatoire l’accélération de la digitalisation, celle-ci s’inscrit dans une tendance de fond, comme le rappelle Mathilde Bourdat, responsable de l’expertise formation chez Cegos. « Nous l’observons depuis les années 2000. Plus tôt, les premières tentatives en e-learning avaient été perçues comme froides. L’apprenant était seul devant son écran, et les contenus pédagogiques qui lui étaient proposés étaient assez bêtifiants. Le renouveau est arrivé avec le blended learning. En mêlant formation en distanciel et en présentiel, cette approche offre davantage de chaleur humaine. » La transformation numérique a, selon elle, préparé le terrain. « Si cette crise sanitaire avait eu lieu il y a seulement cinq ans, des outils de collaboration à distance, comme Google Meet ou Microsoft Teams, n’auraient pas été à disposition des entreprises. » L’environnement réglementaire est également propice à cette digitalisation. Les formations 100 % en ligne sont éligibles au dispositif FNE-Formation que le Gouvernement a renforcé en début de crise et, ce, quel que soit le domaine de compétences visé, y compris les actions de validation des acquis de l’expérience (VAE) et les bilans de compétences.

La loi Avenir professionnel de 2018, qui a converti les heures de formation cumulées du compte personnel de formation (CPF) en euros, offre aussi davantage de lisibilité. Selon le baromètre de Cegos, elle inciterait 86 % des DRH (+ 6 points par rapport à 2019) à développer plus particulièrement la formation mixte ou à distance. Le CPF permet également à un salarié d’être davantage responsable du développement de ses compétences. L’application mobile MonCompteFormation lui permet de consulter, depuis un Smartphone, son solde, ses offres de formations éligibles, ses évaluations et les commentaires des salariés qui ont suivi les stages. À noter que la migration des droits acquis avec l’ancien droit individualisé à la formation (DIF) vers le compte CPF a été repoussée de six mois, au 30 juin 2021.

Former les formateurs

Pour autant, les DRH et les responsables de formation vont devoir, avec la crise, opérer la bascule vers le digital à budget constant, voire réduit. « C’est une idée reçue que de croire que la formation en distanciel coûte beaucoup moins cher, avance Mathilde Bourdat. Si elle supprime les frais de déplacement, il faut en contrepartie y intégrer les coûts d’ingénierie ou d’équipements dédiés, notamment avec les solutions de réalité virtuelle et augmentée. » Dans ce contexte de frilosité budgétaire, il s’agira aussi de prouver que les stages en ligne servent bien les objectifs initiaux. À la mode, le concept de performance learning consiste à former les salariés au plus près des situations professionnelles et de leurs attentes individuelles. Enfin, il sera nécessaire d’accompagner les formateurs sur la voie du numérique. « En distanciel, les outils et la posture sont différents, poursuit Mathilde Bourdat. On devient formateur pour la richesse du contact humain, pour l’amour du partage des savoirs. Chez certains, le passage au digital est plus compliqué. Dispenser un enseignement à distance suppose plus de préparation en amont et de connaître quelques bonnes pratiques pour retenir l’attention. » Ou comment former les formateurs…

—— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2950)

Étude : PRÈS DE NEUF DRH SUR DIX ONT ADAPTÉ LEUR OFFRE DE FORMATION

La pandémie de la Covid-19 a fortement accéléré la montée en puissance des formations à distance. Selon l’édition 2020 du baromètre européen de Cegos, 88 % des DRH français disent avoir adapté, avec la crise, leur offre de formation en ligne pour continuer à former leurs équipes. Une crise qui n’a fait qu’accélérer une tendance de fond. Les formations à distance s’étaient fortement développées sur les deux dernières années. Si 63 % des salariés français ont suivi, sur cette période, une formation en présentiel (- 5 points), 46 % ont bénéficié d’une formation à distance en ligne (+ 20 points), et 23 % d’une formation mixte (+ 2 points).

Avis d’expert : « IL N’Y AURA PAS DE PASSAGE AU 100 % DISTANCIEL »

Mathilde Bourdat, responsable de l’expertise formation chez Cegos

Quel est l’impact de la crise sur l’offre de formation ?
Mathilde Bourdat : Les DRH et les responsables de formation se donnent énormément de mal pour transposer les formations en distanciel. Il s’agit, bien sûr, de maintenir l’effort de formation, mais aussi de répondre aux enjeux d’évolution des compétences que génère la crise. Les cadres doivent se former au management à distance, les commerciaux à la vente en ligne. Avec la collaboration à distance, le développement des « soft skills » devient aussi essentiel. Par ailleurs, la formation constitue un levier d’engagement des collaborateurs que peut actionner la DRH en temps de crise.

Quel est le format privilégié ?
M. B. : La classe virtuelle est le format de formation le plus facilement adaptable, puisqu’il repose sur du distanciel en mode synchrone. Enseignants et apprenants travaillent ensemble, en même temps. C’est un outil très riche avec la multiplication des outils collaboratifs. On peut travailler en sous-groupes, puis se retrouver pour restituer les travaux des différentes équipes sur un mur digital. La classe virtuelle permet un maximum d’échanges entre pairs, loin des cours magistraux.

Bien sûr, rien ne remplacera complètement le présentiel. Le lien social et la communication verbale ou paraverbale restent des éléments essentiels. En sortie de crise, je verrais bien un parcours mixte avec un tiers de présentiel, un tiers de formation complémentaire à distance et un dernier tiers en blended learning.

Une autre tendance forte est celle de l’individualisation de la formation…
M. B. : Oui, les salariés prennent davantage en main le développement de leurs compétences. Avant, c’était avant tout les managers qui avaient cette posture. Aujourd’hui, les ouvriers et les employés se sentent également concernés. Avec la transformation numérique et la transition écologique, ils savent que leur métier changera, parfois en profondeur. La formation doit être utile et répondre spécifiquement aux besoins de l’apprenant en étant au plus proche des situations qu’il vit au quotidien. Avec ce « performance learning », il s’agit de transformer rapidement des compétences nouvellement acquises en performances opérationnelles. Le distanciel permet plus facilement d’assurer cette personnalisation, en fléchant un parcours par rapport au profil de l’apprenant et de ses attentes.