Le droit à l'erreur, un levier de management ?

Le droit à l'erreur, un levier de management ?

Si le droit à l’erreur est accepté dans la sphère publique, il reste tabou en entreprise. Instaurer un management bienveillant sur ce sujet permet pourtant de débrider la créativité et le sens de l’innovation des collaborateurs.

Errare humanum est. L’erreur est humaine, dit la locution latine. Qui se poursuit par perseverare diabolicum, c’est-à-dire : persévérer dans l’erreur est diabolique. L’erreur ne pose pas de problème en tant que telle, c’est la persévérance dans cette erreur qui est condamnable. Dans la vie personnelle, les « ratés » sont de mieux en mieux acceptés. Il est admis qu’il faut essayer, au risque de parfois se tromper. Un mariage sur deux se termine par un divorce. L’administration fiscale elle-même reconnaît désormais ce droit à l’erreur permettant aux citoyens et aux entreprises d’éviter des sanctions au premier manquement, s’il a été commis de bonne foi. Un site Internet (Oups.gouv.fr) vient d’être lancé à cet effet.

Assumer ses erreurs

En revanche, dans le monde de l’entreprise, il reste compliqué, voire tabou, de reconnaître et d’assumer que l’on s’est trompé. Nombre de sociétés ont hissé la performance et la productivité au rang de valeurs cardinales. En encadrant les process de normes qualité, elles prônent le « zéro défaut », le « zéro panne » ou le « zéro délai ». Annihiler le risque revient aussi à juguler la prise de risque. C’est une lapalissade de rappeler que la plupart des grandes inventions sont la somme d’échecs préalables. En Suède, un musée, le Failure Museum, rassemble une collection de flops issus de marques reconnues, comme les lasagnes Colgate, le parfum Harley-Davidson ou le ketchup Heinz vert. Avec les grandes mutations en cours, et notamment la transformation numérique et la transition écologique, les mentalités évoluent. Il ne s’agit plus d’améliorer des process existants, mais de « disrupter », d’inventer de nouveaux modèles économiques, de casser les codes. Ce qui suppose de faire appel à l’intelligence collective, toutes les idées (bonnes ou mauvaises) étant bonnes à prendre. Les entreprises traditionnelles reprennent à leur compte des concepts des Gafa et des start-up, comme l’« open innovation », le « test and learn », les hackathons ou les processus itératifs des méthodes agiles. Le mot d’ordre de ces dernières est « fail fast ». Plantons-nous vite car, sans échec, pas d’innovation.

Faire appel à l’intelligence collective

Mais les concepts seuls ne suffisent pas si l’état d’esprit ne change pas. Les collaborateurs sont généralement soumis à des injonctions contradictoires : mise en avant du droit à l’erreur d’un côté et sanctions de l’échec de l’autre. Un mal a priori bien français. Ce qui fait dire à Bill Gates : « La seule chose qui freine l’innovation en France, c’est la peur de l’échec. » Débrider l’innovation suppose d’enlever l’épée de Damoclès qui pèse sur les collaborateurs, la peur de l’échec conduisant à l’autocensure. C’est donc au management de faire sa révolution copernicienne, d’adopter une attitude bienveillante. Pour Erwan Deveze, auteur et consultant en neuromanagement, l’exemple doit venir du haut : « Les dirigeants doivent exposer davantage leurs vulnérabilités et fragilités. » Cela n’empêche pas de fixer les règles du jeu. Tout d’abord, le droit à l’erreur n’est pas le droit à la faute. La première est involontaire, la seconde non. Il s’agit aussi d’instaurer une culture du feed-back et de l’amélioration continue, partant du principe qu’il vaut mieux évoquer une erreur le plus tôt possible. Chez BlaBlaCar, dont l’une des valeurs est « Échoue, apprends et réussis », les équipes partagent chaque jour leurs échecs afin de relativiser, de déculpabiliser et d’en tirer des leçons. Si on connaît le post-mortem, qui consiste à tirer un bilan à la fin d’un projet, certaines sociétés innovantes ont instauré le pré-mortem. Il s’agit cette fois, en début de projet, d’imaginer qu’il va déboucher sur un désastre absolu et d’analyser les raisons imaginables qui pourraient expliquer
cet échec.

—— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2916)

Avis d'expert : CHANGER DE POSTURE »

Charles de Fréminville, PDG et cofondateur de Bloom at Work

Quelle est la maturité de la France sur le sujet du droit à l’erreur ?
Charles de Fréminville : La France est en retard. Le droit à l’erreur est culturellement mieux assimilé dans les pays anglo-saxons. Pour les Américains notamment, un entrepreneur qui n’a pas échoué au cours de sa carrière est suspect. Il n’a pas pris suffisamment de risques. En France, il y a un décalage entre ce que les entreprises prônent et la réalité du terrain. Les collaborateurs sont soumis à des injonctions contradictoires. On leur demande d’innover, d’essayer, mais s’ils se plantent, c’est une autre histoire.
Il y a toutefois un aspect générationnel. Les dirigeants actuels ont commencé à travailler il y a une vingtaine d’années, ils n’ont pas intégré cette notion de « test and learn ». Ce n’est pas le cas des millennials qui zappent d’un projet à l’autre, ou d’une entreprise à l’autre, si cela ne leur plaît pas.

Faut-il délimiter le droit à l’erreur ?
C. d. F. : Bien sûr, il faut distinguer les erreurs d’inattention, évitables, et les erreurs « préparées », qui relèvent de la prise de risque. Le management doit fixer ce qu’est la norme acceptable. Il est important de faire du pré-mortem, et d’envisager en amont ce qui pourrait produire un échec. Partons du principe que les consommateurs n’adhéreront pas à notre nouveau produit. Quel serait le taux d’adoption acceptable« x mois » après le lancement ? Le post-mortem doit être, lui, transparent et partagé. Les autres équipes doivent pouvoir tirer des enseignements de cette expérience. Google +, le réseau social de Google, a été un échec retentissant, mais l’une de ses briques technologiques a servi à fonder le service Google Photos.

Est-ce que les mentalités évoluent ?
C. d. F. : Poussées par le besoin d’innover, la plupart des entreprises ont compris les enjeux du droit à l’erreur. Le « comment » est plus compliqué. Il y a des décennies de réflexes à bannir. Quand un collaborateur propose une idée, un manager dit souvent « non » immédiatement, sans le laisser dérouler son argument. C’est le réflexe numéro un du sachant, il valide ou non la proposition. La posture du manager doit changer. Il doit se mettre à la disposition du collaborateur pour enrichir son idée, l’aider à progresser.

L’état d’esprit doit évoluer dans un monde qui se transforme à une vitesse exponentielle alors que la progression de l’apprentissage est, elle, linéaire. Les entreprises ne pourront pas maîtriser tous les risques en sécurisant leurs process. Elles devront tenter, émettre des hypothèses. Quelle est la meilleure option à une situation donnée ? On le voit déjà avec la gestion de projet en méthodes agiles, qui procède par itérations : les cycles d’innovation sont de plus en plus courts.