L’IA et les RH : quels apports pour quelles limites ?

L’IA et les RH : quels apports pour quelles limites ?

Du recrutement à la mobilité interne, l’intelligence artificielle peut automatiser un grand nombre de processus RH. Son adoption bute toutefois sur un certain nombre de freins psychologiques. La maturité des solutions est aussi parfois prise à défaut.

À moins d’avoir hiberné ces derniers mois, vous avez certainement dû entendre parler de ChatGPT. Réalisant un véritable saut de performance, cette intelligence artificielle de dernière génération est appelée à bouleverser un grand nombre de métiers. La fonction RH ne fait pas exception.

IA dite « générative », ChatGPT peut concevoir des offres d’emploi optimisées pour les moteurs de recherche, répondre de façon personnalisée aux candidats, rédiger des contenus pour renforcer une stratégie de marque employeur ou aider à élaborer un programme de formation. En accès libre, ChatGPT est aussi dans les mains des candidats qui peuvent l’utiliser pour écrire un CV ou une lettre de motivation. L’IA et les RH, ce n’est pas nouveau. Cela fait environ une dizaine d’années que les directions RH sont concernées par ces solutions innovantes, même si leur adoption réelle reste timorée. De l’embauche d’un collaborateur à son départ, un grand nombre de processus RH sont potentiellement éligibles.

En matière de sourcing, l’IA peut se charger de l’identification des candidats en opérant une présélection. Déchargé de ce « screening » de CV chronophage et fastidieux, un recruteur se concentre sur des missions à plus forte valeur ajoutée, à commencer par la relation avec le candidat.

Le recrutement prédictif vise, lui, à évaluer la capacité d’un candidat à réussir à un poste donné. Valorisant les compétences comportementales, cette approche favorise la diversité en repêchant les profils dits atypiques. Se basant sur des données objectives, elle réduit les risques de biais que peut, consciemment ou inconsciemment, avoir un recruteur.

L’IA s’applique aussi à la mobilité interne. Elle rapproche les opportunités proposées par l’entreprise avec les compétences déclarées ou dormantes des collaborateurs et leurs souhaits d’évolution, puis suggère la ou les formations nécessaires pour occuper le poste. L’analyse fine des données RH permet aussi de prévenir l’absentéisme en identifiant ses causes ou de réduire le turn-over en décelant les signes avant-coureurs d’une démission.

Une courbe d’apprentissage plus ou moins longue

Au-delà de ces belles promesses, l’appropriation de l’IA par les DRH ne se fait pas sans mal. Son adoption suit une courbe d’apprentissage plus ou moins longue. Comme le cabinet Gartner l’a conceptualisé avec son « hype cycle », toute nouvelle technologie connaît un pic d’attentes démesurées puis, après une période de déception, finit par être adoptée massivement.

L’IA semble se situer dans l’avant-dernière phase. Certains retours d’expérience négatifs ont montré que les technologies d’apprentissage automatique pouvaient introduire des biais dans le recrutement ou l’évaluation des candidats, alors même qu’elles devaient les éradiquer.

On reproche aussi à certains outils d’IA leur manque transparence. Faute de pouvoir expliquer leur modèle, ils donnent l’impression de prendre des décisions de manière aléatoire ou inconnue. Ce qui peut impacter l’expérience du candidat ou du collaborateur qui ne sait pas sur quels critères il a été évalué. Enfin, l’IA avec son côté Big Brother génère des inquiétudes parfois irrationnelles. Le collaborateur se demande si ce n’est pas un algorithme qui décide de son avenir. Côté DRH, les chargés de recrutement ou les gestionnaires RH peuvent se sentir menacés dans leur emploi.

— Xavier BISEUL (Tribune Verte 3011)

Étude : LES DRH FRANÇAIS ENCORE TIMORÉS

Selon une enquête menée par le cabinet Axys Consultants en septembre 2021, seuls 13 % des DRH français ont mis en oeuvre des solutions d’IA, contre 11 % en octobre 2019. 34 % ont commencé à travailler sur le sujet (versus 32 %). Plus gênant, la moitié d’entre eux (48 %) déclarent que le sujet n’est pas à l’ordre du jour. Les DRH pionniers ont prioritairement déployé des solutions d’IA pour gérer les candidatures (agents conversationnels), analyser les contenus (réponses mails, comptes rendus d’entretiens) et automatiser les tâches administratives (paie, congé). Les solutions d’analyse prédictive dédiées au recrutement, à la formation, à la mobilité interne et à la GPEC arrivent en dernier, tout en affichant une forte progression (+ 31 %). Les DRH sont plus nombreux qu’en octobre 2019 à estimer que l’IA impactera positivement l’organisation du travail (71 % contre 68 %). Elle redonnera du sens au travail en supprimant les tâches répétitives grâce à l’automatisation (78 %), tout en nécessitant une montée en compétences des collaborateurs (81 %). Parmi les freins à l’adoption, les coûts de mise en oeuvre sont mis en avant, devant le déficit de sponsoring interne et le manque de formation technique et de culture d’entreprise. Le risque de déshumanisation de la fonction RH est cité
par 43 % des répondants.

Avis d’expert : « Ne pas tomber dans le piège de l'effet de mode »

Chloë Touati, fondatrice d’Authentic Talent, distributeur officiel de Hogan Assessments en France.

Quelle est la perception des employeurs à l’égard de l’IA ?
Chloë Touati : Le sujet de l’IA étant fortement médiatisé, l’intérêt des entreprises pour l’IA est réel. Pour autant, il ne faudrait pas tomber dans le piège de l’effet de mode. Il convient de dépasser le discours marketing de certains éditeurs et de leurs solutions miracle et avancer au bon rythme, en phase avec la montée en maturité des technologies. L’IA a vocation à accompagner la stratégie de diversité et d’inclusion engagée par les employeurs. Entraînée sur l’historique des recrutements passés, elle peut toutefois aboutir à l’effet inverse en reproduisant les biais d’une organisation. Cela n’est pas sans impact sur la réputation. Les entreprises ayant recouru à des solutions d’IA biaisées ont vu leur marque employeur dégradée.

Quel est le niveau de maturité des DRH ?
C. T. : Une DRH a besoin de s’approprier ces enjeux et de comprendre comment fonctionne l’IA. Sur quels critères un algorithme obtient tels résultats ? Cette explicabilité est essentielle. Les décisions prises peuvent être lourdes de conséquences quand il s’agit, par exemple, de promouvoir les hauts potentiels ou les futurs dirigeants d’une entreprise. Comme les autres fonctions de l’entreprise, la DRH a aussi une appréhension naturelle à l’égard de l’IA. Un chargé de recrutement peut craindre d’être, demain, remplacé par ChatGPT.

Quel peut être l’impact sur l’expérience candidat ?
C. T. : Un candidat veut être évalué avec équité et non par la seule intuition d’un recruteur, ni par la boîte noire d’une IA. L’IA doit être mise au service du recruteur dans le cadre d’une association gagnante. En amont, elle peut assurer des tâches chronophages dans la phase de diagnostic, où il s’agit de s’assurer du potentiel d’un candidat. Le recruteur prend le relais dans la phase qualitative quand il s’agit de donner des clés au candidat, avec ses forces et ses points à renforcer. Il doit pour cela s’appuyer sur des systèmes d’évaluation conçus scientifiquement. En mesurant objectivement les chances qu’un candidat réussisse dans le poste, on réduit le risque d’échec. La restitution des résultats de l’évaluation vient, par ailleurs, enrichir l’expérience candidat. Les entreprises se rassurent en multipliant les entretiens alors qu’un N +1 et un N +2 mesureront sensiblement la même chose. Ce qui ne fait, par ailleurs, qu’allonger le process de recrutement. Un inconvénient dans le contexte de guerre des talents.