Travail à temps partagé : Une relation entre employés et employeurs trop peu exploitée

Travail à temps partagé : Une relation entre employés et employeurs trop peu exploitée

Le travail à temps partagé permet à de petites structures de recourir ponctuellement à des compétences qu’elles ne pourraient embaucher à temps complet. Pour les salariés concernés, le dispositif peut être source d’épanouissement professionnel.

Sur le papier, le travail en temps partagé a tout pour plaire. Les entreprises qui y ont recours, essentiellement des TPE et des PME, n’ont pas toujours les moyens et la nécessité de recruter un salarié à temps plein. Elles souhaitent néanmoins s’appuyer sur des compétences pointues quelques heures par semaine à un coût moindre que l’intérim. Les petites structures recherchent notamment l’expertise ponctuelle d’un DRH, d’un contrôleur de gestion ou d’un responsable informatique. Côté salarié, travailler pour plusieurs entreprises présente également des avantages. En diversifiant son activité professionnelle, il cumule les expériences. Le multisalariat offre aussi davantage de sécurité d’emploi que le CDI mono-employeur. En effet, difficile d’imaginer perdre dans le même temps deux ou trois employeurs. Par ailleurs, il représente un moyen, notamment pour les profils seniors, de contourner la difficulté à trouver un emploi à temps complet. En contrepartie, le salarié partagé doit faire preuve d’autonomie et de polyvalence pour s’adapter à la diversité des missions.

Trois formes de relations juridiques sont possibles. Un salarié peut tout simplement travailler à temps partiel pour différentes entreprises ou bien y réaliser des prestations de services avec le statut d’indépendant. La troisième possibilité, c’est le groupement d’employeurs. Association à but non lucratif, cette structure tierce embauche des salariés en CDI et les met à disposition d’entreprises adhérentes proches géographiquement. Mutualiser des compétences suppose que les employeurs se mettent d’accord sur les profils recherchés, puis sur la gestion de l’emploi du temps, sans parler du volet administratif (congés payés, RTT, frais de déplacement et de repas, accords collectifs, indemnités de rupture…). « Les groupements d’employeurs existent principalement en province, où l’esprit de corps et la notion de solidarité sont plus présents, observe David Bibard, fondateur du Portail du temps partagé (lire notre interview). La région parisienne ne compte, elle, que trois groupements d’employeurs. »

Une arme antichômage ?

La loi Cherpion du 28 juillet 2011, pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels, a assoupli les conditions d’adhésion à un groupement d’employeurs. Auparavant, les entreprises de plus de 300 salariés ne pouvaient rejoindre un groupement. À présent, ce seuil est supprimé. De même, la loi a ôté l’interdiction faite aux entreprises d’adhérer à plus de deux groupements d’employeurs. Les garanties des
salariés ont été, par ailleurs, renforcées. Il ne doit pas y avoir de différences de rémunération entre les salariés du groupement et les salariés des entreprises auprès desquelles il est mis à disposition. Dans le secteur agricole, où 10 % de l’activité serait exercée en emploi partagé, c’est cette formule du groupement d’employeurs qui est privilégiée. La Fédération nationale des groupements d’employeurs agricoles et ruraux (FNGEAR) en fait notamment la promotion. Basée à Plérin, dans les Côtes-d’Armor, l’association Terralliance, groupement d’employeurs né en 2006, unit à elle seule une centaine de salariés, principalement des ouvriers agricoles au service des exploitations
bretonnes. Dans l’agroalimentaire, quatre entreprises gardoises – Perrier, Syngenta, Royal Canin et Éminence – viennent de constituer un groupement d’employeurs, baptisé Progress, afin de faire face à la pénurie de main-d’oeuvre industrielle. Pour autant, le temps de travail à temps partagé ne rencontre pas le succès auquel il serait en droit d’attendre. Alors que la tendance est aux slashers – cette nouvelle génération de travailleurs qui cumulent plusieurs jobs – seuls un peu plus de 430 000 professionnels ont été séduits par cette façon de travailler (lire notre encadré). Dans un pays où le chômage reste à un niveau élevé, et face aux besoins des entreprises en compétences pointues afin de mener à bien leurs transformations, la formule devrait connaître davantage de résonance. David Bibard regrette un manque de communication sur le sujet, notamment de la part de l’Apec et de Pôle emploi.

—— Xavier BISEUL (Tribune Verte n°2907)

Avis d’expert : « LE GROUPEMENT D’EMPLOYEURS, LA FORMULE IDÉALE »

David Bibard, directeur d’Essentiel Gestion, fondateur du Portail du temps partagé
Qui a recours au travail à temps partagé ?
Ce sont essentiellement des TPE et PME. Le travail à temps partagé a débuté il y a 25 à 30 ans dans le secteur agricole. Mus par le « bon sens paysan », les agriculteurs ont rapidement compris qu’il était plus logique de reprendre la personne formée quelques mois plus tôt. L’effet de saisonnalité dans la profession ne nécessitant pas une embauche à temps complet. Aujourd’hui, tous les secteurs d’activité et toutes les fonctions, cadres ou non-cadres, sont concernés. Ce sont toujours des emplois qualifiés, les entreprises recherchent de l’expertise. Rien à voir avec les emplois Kleenex façon Uber. Il n’y a pas d’offres d’emploi. C’est un marché d’opportunités et de rencontres.

Quels sont les candidats éligibles ?
Il s’agit plutôt de profils seniors, même si on note un rajeunissement. Il faut une certaine maturité pour gérer différents employeurs en parallèle. Cela suppose des capacités d’adaptation. Il faut aussi se créer son réseau de contacts, se rapprocher des associations de travail à temps partagé. Sur les fonctions supports (finance, gestion, RH), on trouve souvent des cinquantenaires.

Dans les groupements d’employeurs, les profils sont plus jeunes. L’université Bretagne Sud propose, par exemple, un master RH avec option temps partagé afin de conserver les jeunes diplômés sur Vannes. C’est un enjeu de territoire. Un salarié ne va pas faire 150 km pour rejoindre un de ses employeurs.

Sur le papier, le groupement d’employeurs, c’est la formule idéale. Le salarié est embauché en CDI, alors qu’un indépendant devra savoir gérer les trous d’air au départ d’un client. Le groupement présélectionne les candidatures qui seront ensuite validées par les différentes entreprises. Un salarié en travail en temps partagé peut gagner plus qu’un salarié « classique » en mettant en avant sa souplesse. C’est surtout un épanouissement professionnel que de cumuler plusieurs expériences professionnelles.

Pourquoi le travail à temps partagé ne connaît-il pas plus de succès ?
Le sujet est mûr et les besoins sont là. Il manque juste une meilleure communication. Les chefs d’entreprise ont le nez dans le guidon. Il faut leur rappeler à intervalles réguliers que le temps partagé existe. Afin de favoriser la sensibilisation au dispositif, le Portail du temps partagé et ses partenaires organiseront le 6 juin la 4e édition des Trophées du temps partagé.