“Actif’Agri” fait le tour de l’emploi agricole
Le Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture vient de sortir un nouvel ouvrage sur la transformation des emplois et des activités dans le monde agricole. Après un état des lieux de la situation, plusieurs pistes d’action sont proposées par les auteurs de cet ouvrage collectif.
L’ouvrage Actif’Agri. Transformations des emplois et des activités en agriculture est disponible en librairie depuis la mi-juin. Comment est né cet ouvrage ?
Vanina Forget (Chef du Bureau de l'évaluation et de l'analyse économique au Ministère de l'Agriculture) : Au sein du CEP (Centre d’études et de prospective) du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, nous avons souhaité améliorer la compréhension du ministère sur les dynamiques à l’oeuvre au niveau de la transformation des emplois et des activités dans le monde agricole. Un certain nombre de signaux et de travaux montraient que les métiers et les activités bougent vite. Depuis les années 1950, l’agriculture a en effet connu une disparition massive de ses emplois. Au-delà du nombre, la nature des emplois et des activités des hommes et des femmes qui font l’agriculture se recompose constamment. Nous avons fait le choix de réaliser un ouvrage collectif ancré dans l’analyse technico-économique. Une quarantaine de coauteurs1, dont l’équipe du CEP et des chercheurs, ont participé à ce projet qui a duré un an et demi. Des groupes de travail ont été mis en place. Huit coanimateurs avaient la responsabilité de différentes parties de l’ouvrage. J’étais quant à moi chargée de coordonner et de piloter le tout.
Cet ouvrage, qui se veut facile d’accès, est destiné à toutes les personnes qui évoluent dans le monde agricole : les représentants du ministère, les organisations de producteurs, les agriculteurs, les étudiants…
De quelle manière avez-vous conduit l’étude ? Quels choix avez-vous faits ?
V. F. : Le périmètre d’étude englobe tous les secteurs agricoles, et surtout le maillon de la production, pour comprendre comment les choses évoluent au sein des exploitations agricoles. L’ouvrage, qui contient douze chapitres, a été divisé en quatre grandes parties. Dans la première, nous avons dressé le panorama de la situation à
l’aide des chiffres qui sont disponibles sur l’emploi, puis nous nous sommes intéressés à l’état des lieux mais d’un point de vue « qualité du travail ». Quelles sont les conditions de travail ? Comment rentre-t-on et sort-on du monde agricole ? Sur ce sujet de la mobilité professionnelle, nous avons d’ailleurs eu une contribution de l’APECITA qui nous a fourni des résultats de bilans de compétence. Dans une troisième partie, nous avons choisi d’explorer trois facteurs qui expliquent ces transformations. Nous avions identifié les innovations, les performances environnementales et le commerce international. Puis nous nous sommes intéressés à l’influence des politiques publiques sur la transformation de l’emploi. Même si nous sommes certains que les politiques régionales ont un rôle fort, nous n’avons pas pu les aborder. Actif’Agri est le premier ouvrage à faire un tour complet de la question ; en revanche, nous n’avons pas pu tout traiter.
Dans les deux premières grandes parties de l’ouvrage, vous réalisez un état des lieux quantitatif et qualitatif. Quelles conclusions tirez-vous sur les grandes transformations de l’emploi dans le monde agricole ?
V. F. : Nous allons vers une « normalisation » et une « porosité » du qu’il y a énormément de salariés précaires. C’est une population encore mal connue, notamment en matière de santé. La situation des travailleurs détachés est également de plus en plus préoccupante. Quant aux femmes, elles occupent toujours une place différente de celle des hommes. La féminisation du secteur n’évolue pas vite.
Dans les troisième et quatrième parties du livre, vous faites le point sur les moteurs de la transformation, et notamment sur l’influence des politiques publiques agricoles. Quels éléments peut-on retenir ?
V. F. : Depuis cinquante ans, il y a une érosion du nombre d’emplois quelles que soient les politiques publiques mises en place. De manière générale, celles-ci ont un effet assez limité sur les questions de l’emploi. Certains mécanismes, comme la diversification des activités et circuits courts, les innovations agroécologiques ou encore les politiques de soutien au revenu, se révèlent en revanche protecteurs. Tous les facteurs que nous avons explorés dans cette étude ont en commun d’avoir des effets ambivalents sur l’emploi et sur les activités agricoles. Par exemple, l’innovation entraîne une tension continue entre l’amélioration de la productivité et le maintien de l’emploi.
Dans le dernier chapitre d’Actif’Agri, vous proposez plusieurs pistes d’action. Quelles sont-elles ?
V. F. : Nous avons dégagé comme premier axe stratégique la nécessité de sortir du débat productivité/maintien de l’emploi. L’objectif maintenant est de parler de performance économique (marge brute). C’est une question de positionnement par rapport aux encouragements. Face à la tension entre la qualité du travail et la compétitivité des
exploitations dans un contexte de concurrence internationale, le travail légal ressort comme une nécessité. L’idée est de travailler sur la « qualité sociale » du bien agricole. Demain, on doit être en capacité de proposer un produit qui respecte le travail. Des marques ont d’ailleurs déjà commencé à travailler sur ce sujet. Le troisième axe est lié au capital humain. Les actifs agricoles sont généralement moins formés que dans d’autres secteurs. Pourtant, la demande en compétences augmente au sein des exploitations. Les efforts en faveur de ces salariés de l’agriculture doivent s’accentuer, c’est un enjeu stratégique.
Quelle suite allez-vous donner à cet ouvrage ?
V. F. : Le projet est terminé. Notre ambition était de faire un état des lieux sur ce que l’on sait aujourd’hui de la transformation de l’emploi dans le monde agricole. Nous proposons une photo complète. L’équipe du CEP va passer sur un autre sujet, mais certaines personnes qui ont participé à la réalisation de cet ouvrage, des économistes
agricoles notamment, vont poursuivre leurs travaux. Ce sujet a ouvert de nombreuses questions.
—— Caroline EVEN (Tribune Verte n°2914)
(1) Venant de divers organismes, dont notamment le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, l’Inra, des universités, l’Idèle, l’APECITA…