Constant Lecoeur Secrétaire perpétuel de l’Académie d’agriculture de France « Les mondes agricole et urbain cherchent à entrer en dialogue »

Constant Lecoeur Secrétaire perpétuel de l’Académie d’agriculture de France « Les mondes agricole et urbain cherchent à entrer en dialogue »

Les membres de l’Académie d’agriculture de France (AAF) éclairent la société et les décideurs sur les domaines de l’agriculture, de l’alimentation et de l’environnement. Fin mars, ils ont apporté leur point de vue sur cette crise sanitaire.

Le 25 mars 2020, en pleine crise sanitaire, vous rédigiez, avec d’autres académiciens, la lettre « Production agricole et épidémie de Covid-19, retour aux fondamentaux ? ». Que révèle cette crise ?
Constant Lecoeur : Lors de grandes pandémies, on redécouvre l’importance du lien entre sécurité alimentaire et sécurité sanitaire. Pendant cette crise, les circuits alimentaires ont continué à fonctionner. Même si les citoyens se sont précipités pour acheter des pâtes et du sucre, globalement, l’alimentation a été maintenue. Grâce à la mobilisation des agriculteurs locaux et des collectivités, nous avons également redécouvert l’importance des systèmes d’alimentation de proximité. L’alimentation a de nouveau rapproché les consommateurs et les territoires, même si ces derniers n’ont sans doute pas la capacité de nourrir entièrement ces populations.

Des problématiques ou thématiques sousjacentes sont-elles apparues lors de cette crise ? Quels sont les principaux enseignements ?
C. L. : Cette épidémie demande de réfléchir à ses causes, et notamment sur la manière dont les circuits d’alimentation en animaux vivants peuvent favoriser le passage d’un virus de l’animal à l’homme. Cette crise soulève également l’importance de la gestion des données et de la numérisation dans une amélioration de la connaissance d’une épidémie. En troisième point, cette pandémie amène aussi des questionnements sur la façon d’assurer une résilience des systèmes sur l’alimentation, mais aussi sur l’agrofourniture. Nous devons réfléchir à nos approvisionnements. En août 2019, dans une précédente lettre ouverte, plusieurs membres de l’AAF s’interrogeaient par exemple sur la dépendance de l’élevage européen au soja importé des États-Unis et du Brésil. Cette crise repose ainsi la question de savoir comment autoproduire davantage de protéines, mais sans OGM, pour répondre à l’attente de la société.

Vous observez qu’au début de cette crise, les défiances alimentaires des Français ont été oubliées. L’agribashing a-t-il disparu ? Cette meilleure image qu’ont les Français de l’agriculture va-t-elle perdurer ?
C. L. : Difficile de dire si les effets vont être durables ou non. Cette crise a néanmoins permis de voir que les consommateurs peuvent répondre à des initiatives lancées par des agriculteurs. Pendant cette période, certains se sont, par exemple, mis à faire de la vente directe et cela a fonctionné. À l’avenir, il faut toutefois faire preuve de prudence. Les consommateurs sont soumis à une large offre de choix par la grande distribution, subissant les aspects prix et promotions. Les jeunes sont, quant à eux, particulièrement sensibles aux allégations « sans » (sans OGM, sans gluten, sans sucre…). Concernant le sentiment anti-agriculteurs, cette année est différente par rapport à 2019. Le phénomène d’agribashing s’estompe. Lors du Salon international de l’agriculture 2020, nous avons trouvé l’ambiance assez sereine par rapport aux deux éditions précédentes où nous étions présents. Ils acceptent en quelque sorte que l’agriculture soit en cours de recomposition. Nous observons d’ailleurs un mouvement de fond entre le monde agricole et le monde urbain qui cherchent à rentrer en dialogue. Il y a un besoin de reconnexion dans les deux sens.

—— Propos récueillis par Caroline EVEN (Tribune Verte 2939)