Des ingénieurs aux parcours variés

Des ingénieurs aux parcours variés

Ils sont ingénieurs, jeunes diplômés ou au profil plus expérimenté. Ils nous racontent leurs choix, leurs parcours et leur vision de ce que doit être un ingénieur dans les métiers du vivant.

Valentin Traisnel, Business Développer chez Karnott-Canada : « UN INGÉNIEUR DOIT SORTIR DE SA ZONE DE CONFORT »

« Après un bac SSI-sciences de l’ingénieur, j’ai d’abord pensé me diriger vers une école d’ingénieurs généraliste, type Icam, mais, en tant que fils d’agriculteur, je connaissais tout le potentiel d’avenir que représente la filière agricole. J’ai donc choisi d’entrer à Lasalle-Beauvais (aujourd’hui Unilasalle) en 2013.

À cette époque, je n’avais pas de projet professionnel bien défini. C’est à l’occasion d’un stage dans une entreprise de travaux agricoles en 2016 que je suis entré en contact avec les deux fondateurs de Karnott qui était alors en pleine création. Karnott est une solution connectée permettant de calculer, analyser et archiver automatiquement toutes les interventions réalisées par chaque équipement agricole grâce à un compteur (comprenant un GPS et de multiples capteurs) couplé à une application Web et mobile. Eux cherchaient à réaliser des essais en conditions réelles et de mon côté, je trouvais que ça pourrait être intéressant de tester cette solution pour les chantiers d’épandage. Nous sommes restés en contact durant la suite de mes études et les fondateurs de Karnott m’ont fait part de leur envie de travailler avec moi. De mon côté, je voulais sortir de ma zone de confort et j’avais très envie de travailler à l’étranger, plus spécifiquement au Canada. Je leur ai donc proposé d’y faire mon stage de fin d’études sous la forme d’un volontariat international en entreprise (VIE) pour réaliser une étude de marché et étudier la faisabilité d’un déploiement outre-Atlantique. Durant plusieurs mois, j’ai étudié la concurrence, les marchés existants, j’ai réalisé les premiers tests et signé les premiers partenariats... Il s’est avéré que le Canada offrait de réelles opportunités, pas seulement en agriculture mais aussi dans le secteur du déneigement.

À la fin de mon stage, j’avais convaincu mes collaborateurs de nous implanter de façon durable au Canada tout en prolongeant ma mission VIE pour un an et demi. Je suis donc aujourd’hui en charge du développement Canada. Nous avons créé la filiale canadienne et je commence à embaucher nos premiers collaborateurs. Même si j’ai peu de recul quant à mon expérience professionnelle, je ne peux que constater tout ce que m’a apporté ma formation. En école d’ingénieurs, on touche à tout : de l’agronomie à la finance en passant par l’agroéquipement, la gestion, la comptabilité… Cela nous apporte toute une palette d’outils qui nous permet de nous adapter à bon nombre de situations et ce, dans différents domaines. Mais selon moi, un bon ingénieur agricole est avant tout une personne capable de sortir de sa zone de confort pour oser. Même s’il est parfois amené à se tromper, il doit être capable d’apprendre de ses erreurs pour rebondir. C’est en tout cas ce que j’essaie d’appliquer au quotidien ! »

Valérie Dodelin, directrice adjointe d’une PME spécialisée dans les énergies renouvelables : « DANS UN ENVIRONNEMENT EN CONSTANTE ÉVOLUTION, L’INGÉNIEUR DOIT ÊTRE CAPABLE DE PRENDRE DES DÉCISIONS »

« Quand je suis entrée en école d’ingénieurs à l’Institut polytechnique LaSalle Beauvais, mon souhait était avant tout d’apprendre, de comprendre, de découvrir plus en détail le monde du vivant. Mes premiers stages ont été déterminants dans la construction de mon projet professionnel. C’est en effet un stage de 2e année dans un ranch américain spécialisé dans l’élevage du bison qui m’a incitée à réaliser le suivant à l’Inra, pour étudier le développement de cette production en France. Puis j’ai réalisé mon stage de fin d‘études à l’Institut de l’élevage qui m’a embauchée par la suite. J’y suis restée 8 ans tout en évoluant en province, sur des postes à responsabilités grâce à la confiance établie avec ma hiérarchie. J’ai fini par rejoindre le siège à Paris mais la vie de citadine ne me convenait pas vraiment à cette époque. J’ai décidé de partir pour diriger une coopérative agricole et une association d’éleveurs avec pour principale mission de restructurer ces deux entreprises. Puis, en 2010, j’ai eu l’opportunité de travailler un an pour l’Armée de terre dans le cadre du conflit afghan, sur la création d’une filière arboricole avec les paysans de la vallée de Kapisa. Cette mission s’intégrait dans la volonté de l’armée française d’expérimenter le concept « d’approche globale » dans la gestion des conflits armés. Au retour d’Afghanistan, j’ai eu l’opportunité de formaliser cette nouvelle approche, combinant sécurité – développement économique – gouvernance, au sein d’un état-major de l’Otan durant 2 ans.

Cette expérience m’a alors donné envie d’approfondir les questions de stratégie et d’organisation et j’ai donc complété ma formation par un master 2 en management au Cnam (Paris). Après une année à enseigner la gestion de projet et la conduite du changement au sein d’une école d’ingénieurs agricole, j’ai mené la restructuration du site de production d’un établissement pénitentiaire en Corse : une exploitation agricole de 1 500 ha employant quotidiennement 70 personnes incarcérées. J’ai réussi à agir sur les trois volets de notre mission, en rendant l’exploitation bénéficiaire, en contribuant à la réinsertion des détenus et à l’économie locale. Aujourd’hui, je suis directrice adjointe d’une PME spécialisée dans les énergies renouvelables, en charge de son développement, de l’innovation, et toujours en relation avec le secteur agricole et les territoires.

Le trait d’union entre ces expériences diversifiées est l’agriculture, ma formation initiale et, au demeurant, un enjeu géopolitique mondial. J’ai aussi eu la chance d’avoir de très bons "chefs". J’ai su rester agile dans un monde en perpétuelle évolution. Je pense que c’est un point qui plaît aux recruteurs. Si j’avais un conseil à donner à un jeune qui souhaite se diriger vers un cursus d’ingénieur, je lui dirais que la première des qualités à avoir, c’est la curiosité. C’est elle qui donne envie d’apprendre, de comprendre, d’analyser le monde qui nous entoure. Je ne pense pas qu’il y ait besoin de maîtriser toutes les facettes du métier dès les premières expériences professionnelles. Il est aujourd’hui très facile de compléter ses connaissances et ses compétences grâce à la formation continue.

C’est ce que j’ai fait à travers ma formation en management. Un ingénieur est aussi une personne qui doit savoir fait des choix, prendre des décisions au quotidien, dans son métier et plus largement dans sa vie professionnelle. »

Stéphane Patin, directeur de Races de France : « MES STAGES ONT ÉTÉ DÉTERMINANTS »

« Depuis ma sortie de l’Enita de Clermont (aujourd’hui Vetagrosup) en 1998, je travaille au sein de Races de France. Cette structure, que je dirige depuis 2000, fédère les organismes de sélection des différentes races (bovines, ovines, porcines, caprines mais aussi canines, félines, équines et asines…). Notre rôle est notamment de représenter les membres et de défendre leurs intérêts auprès des pouvoirs publics, de tous les organismes nationaux et européens en lien avec l’élevage ainsi que des organismes en charge de la mise en valeur des produits de l’élevage et des territoires. Mon arrivée au sein de Races de France est avant tout le résultat de rencontres. Tout a commencé quand je suis entré en prépa bio après mon bac. Je ne connaissais pas du tout le milieu agricole mais j’étais attiré par tout ce qui touche à la nature, à la planète… Ma prépa était basée dans un lycée agricole et c’est là où j’ai commencé à découvrir l’agriculture, notamment à travers des camarades issus de familles d’agriculteurs. J’ai découvert à ce moment-là les différentes écoles auxquelles je pouvais prétendre et mon intérêt s’est porté vers les écoles d’ingénieurs agricoles.

Mon premier stage a été déterminant. Je me suis retrouvé, un peu au hasard, dans une exploitation cévenole de raïoles (une race ovine à petits effectifs), en système transhumant. Ça a été extraordinaire, une expérience que j’ai vraiment adorée et qui a sûrement déclenché quelque chose chez moi. Puis j’ai fait une seconde rencontre importante alors que j’avais trouvé un job durant le Salon de l’Agriculture comme assistant commissaire sur le cours général agricole ovin. Alors que j’étais en train d’observer ses raïoles, un éleveur m’a demandé si ça m’intéresserait de faire un stage sur la conservation et la valorisation de 3 races ovines locales du sud de la France. Cette expérience a encore plus développé mon goût pour les races et les questions de développement territorial. À la fin de mes études, je remarque une offre d’emploi dans les couloirs de l’école. France Upra Sélection (qui est devenu aujourd’hui Races de France) recherchait une personne pour animer sa section ovine. L’axe « génétique » du poste et le fait qu’il soit basé à Paris ont fait que je n’ai pas souhaité répondre. Mais il s’est avéré que le directeur de la structure avait fait la même prépa que moi et c’est par le réseau des anciens qu’il m’a retrouvé et qu’il a insisté pour que je postule. Finalement, j’ai sauté le pas et aujourd’hui, je dirige la structure depuis près de 20 ans. Alors j’ai évidemment dû me replonger dans la gestion et la comptabilité, mais c’est aussi une des grandes forces de la formation d’ingénieurs : se créer une boîte à outils (techniques, économiques, réglementaires…) dans laquelle on va aller piocher. En résumé, je dirais qu’un ingénieur est une personne polyvalente qui doit être en mesure d’analyser une situation ou une problématique, d’identifier toutes les ressources techniques et humaines pour y répondre, et de les solliciter pour établir une feuille de route. À mon sens, sa principale qualité est sa faculté d’adaptation. »