Julien Dauer, Frontaliers Grand Est « Réfléchir à l’équilibre vie pro / vie privée »

Julien Dauer, Frontaliers Grand Est « Réfléchir à l’équilibre vie pro / vie privée »

Julien Dauer est directeur de Frontaliers Grand Est. Cette association a notamment pour objectif d’informer les salariés sur les conditions de travail dans les pays frontaliers de la région Grand Est, mais aussi les étudiants et les demandeurs d’emploi.

Quels conseils donneriez-vous à une personne envisageant de devenir travailleur transfrontalier ?
Julien Dauer : En premier, je dirais qu’il est important de bien réfléchir à l’équilibre vie professionnelle / vie privée. Le Luxembourg est notamment un pays très attractif pour les travailleurs des pays voisins, avec des salaires plus élevés, un système social favorable en ce qui concerne les allocations familiales (271 euros par mois par enfant). Mais derrière cette image d’eldorado, travailler au Luxembourg quand on réside en Lorraine, par exemple, cela signifie une à une heure et demi de transport chaque jour pour y aller, autant pour en revenir. Un travailleur transfrontalier est hors de son domicile dix à douze heures. Il est nécessaire de s’organiser si vous avez des enfants, pour composer avec les horaires de crèche, etc. Être travailleur transfrontalier est un vrai projet de vie professionnelle. Certains transfrontaliers reviennent en arrière en raison du transport, en particulier ceux qui ont goûté au télétravail pendant la crise de la Covid-19.

Autre point à savoir, les employeurs sont de plus en plus exigeants au niveau des langues. Et au-delà de votre maîtrise même d’une langue, il faut penser à formaliser votre niveau à travers l’évaluation européenne. Mettre « anglais lu, écrit, parlé » sur un CV n’est pas suffisant, il a toutes les chances d’aller directement dans la corbeille. Les entreprises attendent un niveau en langues évalué selon le référentiel commun européen (niveaux A1, A2, B1, B2, C1, C2). Certaines entreprises ont des robots qui analysent les CV et recherchent des mots-clés. Il faut être précis et clair lors de la rédaction des CV.

Quels sont les points de vigilance en matière de droits et devoirs pour un travailleur frontalier ?
J. D. : Trois points reviennent souvent dans les « erreurs » commises par les transfrontaliers. Avec le Luxembourg, par exemple, il faut savoir que la rupture d’un commun accord n’est pas équivalente à une rupture conventionnelle en France. La signature d’une rupture d’un commun accord au Luxembourg est assimilée par Pôle emploi à une démission. Un deuxième point  important concerne le cumul des emplois. Certains salariés à temps partiel en France souhaitent compléter avec un second travail dans un pays frontalier. Or, attention, dans l’Union européenne, on ne peut dépendre que d’un seul système de sécurité sociale. Si votre travail en France représente au moins 25 % de votre activité (temps de travail ou rémunération), vous dépendez du système de la sécurité sociale française. Cela signifie que votre patron au Luxembourg ou en Allemagne doit cotiser en France. Il faut être vigilant, car le fait de ne pouvoir dépendre que d’un seul système de sécurité sociale peut engendrer des remboursements de trop-perçus (par exemple allocations familiales perçues au Luxembourg). Dernier point de vigilance à prendre en compte pour les ressortissants de pays tiers habitant en France et souhaitant travailler dans un pays frontalier : la question du permis de travail. Il est impératif de demander un permis de travail pour exercer au Luxembourg, en Belgique, en Suisse ou en Allemagne. Sinon, vous cotisez pour rien.

Travailler dans un pays frontalier peut-il être pénalisant au niveau de la retraite ?
J. D. : Non, dans l’Union européenne, il n’y a pas de risque au niveau carrière et retraite à aller travailler dans un pays frontalier. Pour la retraite, si vous travaillez moins d’un an dans un pays frontalier, c’est la France qui prend en charge les cotisations. Dans le cas où vous travaillez plus d’un an, votre pension de retraite sera payée par le pays en question. Concernant le chômage, en cas de chômage partiel ou temporaire, c’est le pays d’accueil qui indemnise. Quand votre contrat se termine, par un licenciement par exemple, c’est Pôle emploi qui devient compétent et prend en charge votre dossier. En revanche, il existe des différences entre les pays sur certains aspects de droit, et il est important de bien se renseigner sur le site Internet frontaliers-grandest.eu avant même de candidater pour un poste dans un pays frontalier. Par exemple, lorsqu’une femme tombe enceinte, le délai pour en informer son employeur n’est pas identique partout. Pour l’invalidité, le droit peut également être différent : ce n’est pas parce que vous êtes reconnu en qualité de travailleur handicapé (RQTH) en France, que vous l’êtes automatiquement dans les autres nations ; il faudra demander à nouveau une
reconnaissance de ce statut.

Comment se préparer à un entretien d’embauche ?
J. D. : Il est impératif de tenir compte des transports, pour être sûr d’être à l’heure pour votre entretien. Se déplacer à Luxembourg notamment – 5e ville la plus embouteillée d’Europe – est difficile, trouver un parking l’est également. Il est important d’anticiper les questions concernant la thématique de l’équilibre vie privée / vie professionnelle, qui vous seront certainement posées.

Quelles sont les idées reçues le plus souvent rencontrées concernant le travail transfrontalier ?
J. D. : On pense souvent à tort que les emplois transfrontaliers sont réservés aux jeunes. Ce n’est pas le cas. Vous n’êtes pas non plus obligé d’y aller pour dix ans, il peut s’agir d’un projet professionnel à court, moyen ou à long termes.

— Propos recueillis par Emmanuelle Thomas (Tribune Verte 2988)

Frontaliers Grand Est : APPORTER DES RÉPONSES

Frontaliers Grand Est est une association mise en place en 1993 et financée par la Région Grand Est et l’Union européenne. Basée à Metz en Lorraine, elle renseigne les personnes travaillant ou souhaitant travailler (salariés, demandeurs d’emploi ou étudiants) dans un des pays frontaliers de la Région Grand Est : Belgique, Allemagne, Luxembourg, Suisse. Elle apporte des réponses sur tous les sujets touchant au travail à l’étranger : fiscalité, droit du travail, transport, retraite, sécurité sociale, vie quotidienne, etc. Elle travaille en partenariat avec Eures, le réseau européen de services de l’emploi destiné à faciliter la libre circulation des travailleurs. Actuellement, le Luxembourg accueille près de 110 000 travailleurs transfrontaliers français, l’Allemagne entre 15 000 et 16 000, et la Belgique entre 10 000 à 12 000 selon les années. La majorité des questionnements proviennent des transfrontaliers au Luxembourg, pays attractif en raison d’un marché de l’emploi dynamique et des salaires plus élevés qu’en France à poste équivalent.