« L’innovation amène à favoriser les compétences multiples »

« L’innovation amène à favoriser les compétences multiples »

L’arrivée de nombreuses innovations dans le secteur agricole et agroalimentaire bouleverse les métiers et les besoins en compétences. Janick Huet, coordinateur du concours Agreen startup qui se déroulera au Sival, nous éclaire sur le sujet.

Votre fonction vous amène à découvrir de nouveaux outils, de nouvelles applications. Quelles sont d’après vous les perspectives d’emploi que peuvent offrir les innovations en agriculture ?
Janick Huet : Les défis écologiques, climatiques, économiques et alimentaires s’imposent à l’agriculture avec force. Pour y répondre, les agriculteurs et leurs conseillers ne peuvent qu’innover, individuellement ou collectivement, vers de nouveaux itinéraires techniques et de nouveaux modèles économiques. Nous avons tous en tête les innovations technologiques et numériques, en particulier dans les champs de l’agroéquipement ou des data (données). Je pense à l’agroanalyste qui nous facilite la lecture synthétique et l’interprétation de millions de données climatiques, de sols, de production, etc. Le datascientist crée des algorithmes qui, après apprentissage, traitent eux-mêmes des masses d’informations. L’un et l’autre aident en définitive l’utilisateur, agriculteur ou conseiller, à prendre plus facilement et plus efficacement des décisions. Les datas engendrent ainsi une panoplie de tâches, depuis la production de données, leur récolte, leur concentration, leur stockage, leur connexion, la gestion des droits d’accès et leur valorisation.

L’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité, l’économie collaborative, la relocalisation amènent-elles de nouveaux métiers ?
J. H. : Les projets d’installation avec une dimension « valorisation en circuit court » arrivent en nombre au PAIT (point accueil installation transmission) depuis plusieurs années déjà. À cela s’ajoute l’arrivée de plus en plus de porteurs de projet, avec des profils et des parcours parfois atypiques, qui prendront ou pas le statut d’agriculteur. Ils créent ainsi des microbrasseries, élèvent des gambas, cultivent des algues, se lancent dans une ferme urbaine, pensent créer une filière bovine locale éthique, ouvrent une épicerie solidaire. Ils vivent à la fois de production alimentaire, de formation, d’animation culturelle. Ce n’est pas anecdotique. Au delà du nombre, ces porteurs de projet participent à transformer le regard de la société sur l’agriculture et amènent un nouveau souffle entrepreneurial.

De nouvelles compétences émergent forcément de ces évolutions. Pouvez-vous nous en citer quelques-unes ?
J. H. : L’agroanalyste que je cite précédemment est un statisticien qui possède une certaine connaissance de l’agriculture. Mais pour accomplir son travail, il est nécessairement épaulé par un agronome. Les porteurs de projet « atypique » évoqués sont hyper-pointus dans un ou plusieurs champs, technique, technologique, commercial ou social. Mais souvent, ils manquent de connaissances pratiques de la production et du monde agricole, de ses acteurs et réseaux, de ses cadres réglementaires. Les personnes possédant plusieurs compétences sortent du lot et peuvent intéresser les entreprises. Elles sont capables de jeter des ponts entre l’agriculture et d’autres secteurs d’innovation, de parler plusieurs « langages », de comprendre les contraintes et les besoins des agriculteurs, de mobiliser le potentiel des nouvelles technologies ou celui des financements participatifs. Face à des agriculteurs de mieux en mieux formés, le conseiller est appelé de plus en plus à jouer un rôle d’accompagnateur d’innovation. Dans ce sens, je crois beaucoup aux vertus du design thinking. Ce process de conception global, centré sur l’humain, qui favorise l’innovation, arrive en agriculture. Il a surtout le mérite de remettre l’agriculteur à l’origine et au coeur des solutions qui se développent, que ce soit des machines, des conseils, de la formation, des logiciels, des applications Smartphone…

Les nouvelles compétences demandent logiquement un enseignement adapté…
J. H. : Oui, évidemment. L’enseignement prend de plus en plus en compte ces nouveaux besoins. Nous le constatons ici, en Pays de la Loire. L’Esa (École supérieure d’agricultures d’Angers) et l’Eseo (École supérieure d’électronique de l’Ouest) réfléchissent justement à construire des parcours communs pour mixer les compétences et créer des profils rares. Plus largement, les lycées et les écoles sensibilisent leurs étudiants à l’entrepreneuriat. Le résultat est épatant ! Je trouve les jeunes curieux, inventifs et ambitieux. La chambre d’agriculture des Pays de la Loire se réinvente aussi pour accompagner ces porteurs de projets que nous n’appelons plus « atypiques » et qui recherchent souvent des appuis vraiment personnalisés. Par exemple, nous ouvrons en janvier la première promotion de la nouvelle spécialisation d’initiative locale sur l’agriculture urbaine, à Nantes, avec une douzaine de participants.

Le potentiel des nouvelles technologies amène-il de nouveaux
candidats à s’intéresser à l’agriculture ?
J. H. : C’est le cas, oui. Des entreprises projettent de transférer leurs technologies vers l’agriculture, des start-up inventent de nouveaux modèles de production et de commercialisation. Mais je n’ai jamais rencontré un candidat qui souhaitait s’installer comme agriculteur par envie de « jouer » avec les applications, les logiciels, les robots. Les jeunes restent avant tout attirés par les liens avec la nature et le vivant. Les innovations peuvent venir enrichir cette quête de sens, sans la contredire. Une agriculture plus moderne et moins pénible contribue aussi à renouveler son image, à lever des préjugés et à attirer des candidats aux profils plus variés. Pour autant, attirer les talents (informaticiens, programmeurs, électroniciens, mécatroniciens, spécialistes en traitement d’image, techniciens prototypistes…) vers les métiers de l’agriculture n’est pas si simple. Ils sont extrêmement courtisés par bien d’autres secteurs plus porteurs. Par exemple, les métiers de l’agromachinisme offrent des opportunités… Mais ils connaissent un déficit de 4 000 emplois annuels.

—— Propos recueillis par Marie-Dominique GUIHARD (Tribune Verte 2929)

Concours Agreen startup LA 20e ÉDITION AU SIVAL

Janick Huet, chef de service innovation de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire, coordonne le concours Agreen startup, qui contribue à « inventer l’agriculture et l’alimentation de demain ». « La démarche, souligne-t-il, consiste à regrouper des porteurs de projet et toute personne intéressée pour plancher par petit groupe sur un projet d’entreprise (business model) durant 68 à 72 heures. Au démarrage, chaque projet est exposé en trois minutes. Ce qui permet aux intéressés de choisir le groupe dans lequel ils souhaitent s’investir. En moyenne, nous recevons 60 volontaires, essentiellement des étudiants, mais nous cherchons à mobiliser davantage de salariés, de chefs d’entreprise, de personnes en reconversion, des agriculteurs… Plus un groupe présente des profils diversifiés, plus le travail est riche. Des coachs accompagnent les participants, qui acquièrent par l’occasion de nouvelles méthodes de travail, comme l’art du pitch. À la fin, un jury départage les projets. Les lauréats bénéficient de nombreux avantages (coaching, dotation financière, formation…). » Pour la première fois au Sival, un ancien lauréat, Jean-Laurent Delbonnel, tiendra un stand pour sa jeune entreprise Agro Sanit, dont le projet Air-pur a reçu le troisième prix Agreen startup 2018.