Management : Comment encadrer les employés expatriés ?

Management : Comment encadrer les employés expatriés ?

Si l’expatriation constitue un levier efficace pour faire décoller une carrière, le retour au pays s’avère souvent brutal. La DRH doit maintenir le contact avec l’expatrié et anticiper au plus tôt son rapatriement. Objectif : capitaliser sur les compétences acquises à l’étranger.

«L’herbe est toujours plus verte ailleurs. » Sur la foi de cet adage, plus d’un tiers des salariés français envisagent de s’expatrier dans les deux années à venir, selon une récente étude d’ADP. Aussi, ils seraient quelque 1,8 million à travailler actuellement à l’étranger. Tremplin pour une carrière, occasion de développer de nouvelles compétences, de maîtriser une langue, ou tout simplement envie d’ailleurs… les raisons qui poussent ces employés à tenter le pari de l’international sont nombreuses. Du côté de l’employeur, la facture est souvent salée. Logement sur place, scolarité des enfants, mutuelle, voiture de fonction, billets d’avion, aide au retour… le montant du package d’expatriation peut inciter des entreprises à privilégier un recrutement local. D’autres sociétés font signer à leurs employés un contrat de travail local, néanmoins assorti d’un certain nombre d’avantages.

Des différences de protection entre la France et l’étranger

« Cependant, attention à ne pas sortir de la légalité, met en garde Jorge Prieto Martin, dirigeant fondateur du cabinet RHExpat. Le droit du travail est loin d’être aussi protecteur à l’étranger qu’en France. En rompant son contrat de travail français, le salarié peut perdre beaucoup. Cela fait pas mal d’années que l’on annonce la fin de l’expatriation, au regard du coût qu’elle représente. La tendance est effectivement à la baisse dans les services, dans la banque, ou dans le luxe, mais elle n’est pas si marquée. Elle ne concerne pas les grands groupes industriels. Quand il s’agit de construire une usine à Dubaï ou en Chine, un industriel vend de la main-d’oeuvre, et l’expatriation s’impose. » D’après les observations de Jorge Prieto Martin, la durée moyenne d’expatriation est de trois ans, avec la possibilité d’une reconduction jusqu’à cinq ans. Pour le salarié, cela correspond au temps suffisant pour valoriser son expérience et de l’intégrer dans son plan de carrière.

Le choc du retour au siège d’origine

Avant le départ, la DRH doit constituer le dossier et le package d’expatriation. Entre le délai d’obtention du permis de travail et les différentes validations en interne, il faut compter au minimum trois mois. « Faire partir quelqu’un en Belgique, c’est déjà une expatriation, rappelle Jorge Prieto Martin. Dans la réalité, il y a beaucoup de changements concernant, entre autres, la couverture sociale, la fiscalité ou encore la rémunération. » La DRH doit ensuite mettre en place un plan de suivi de l’expatrié et mettre à jour son profil lors de la revue annuelle d’objectifs. Surtout, elle doit anticiper un retour trop souvent négligé, l’employeur estimant que l’expatrié revient sur un terrain qui lui est familier. Légalement, l’entreprise est, bien entendu, dans l’obligation de reclasser le salarié en son sein. Elle est également tenue de lui trouver un poste qui s’inscrit dans la suite logique de sa carrière. Il est à noter que l’expatriation de l’un de ses salariés lui permet, idéalement, de capitaliser sur les compétences acquises lors du séjour à l’étranger. Déjà stressante pour l’expatrié, une réintégration mal anticipée peut générer chez lui des angoisses, le faire basculer en plein « spleen », et signifier une régression concernant les changements (mal vécus) de responsabilités, de managers et de collègues. La greffe peut peiner à reprendre. Selon une étude internationale conduite par le cabinet Brookfield, 24 % des expatriés quittent leur employeur dans l’année qui suit leur retour. Pour réduire ce turnover, il convient de ne pas opter pour
une trop longue expatriation. La date du retour étant connue, la DRH peut aussi, six mois avant la fin du détachement, envisager avec l’intéressé les différents scenarii de « recasage » qui s’offrent à lui. Quelques grands comptes proposent même de passer un bilan de compétences ou de recourir à des services de coaching.

—— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2922)

Avis d’expert : « IL EST SOUVENT PLUS FACILE DE PARTIR QUE DE REVENIR »

Jorge Prieto Martin, dirigeant et fondateur du cabinet RHExpat Quel est le profil type du candidat au départ ?
Jorge Prieto Martin : Il s’agit d’un homme ou d’une femme, marié avec deux enfants. Il devient rare que le conjoint ne travaille pas, et plus encore qu’il trouve un travail équivalent sur place. Le projet doit être intéressant et financièrement rentable, ou tout du moins neutre. La DRH doit construire un package en se basant sur la rémunération de référence, puis en dressant un comparatif des différents coûts entre la France et le pays d’accueil. Les parents dont les enfants sont en école publique ne paient, en France, que la cantine, alors qu’ils doivent régler entre 5 000 à 6 000 euros par an pour l’école française à l’étranger. Un expatrié peut passer de 80 K€ en France à 130 000 dollars aux États-Unis, mais il reviendra à sa rémunération de base au retour de sa mission.

Quels sont les écueils de l’expatriation ?
J. P. M. : Il est souvent plus facile de partir que de revenir. Un cadre à La Défense est un cadre parmi d’autres. En devenant le patron d’une filiale, il prend de l’importance. Il troque le RER pour un chauffeur privé. Le retour peut être un choc, et il doit se préparer dès le départ. Dans l’industrie, les postes libérés par les expatriés ne restent pas vacants longtemps. La DRH doit anticiper leur retour et voir comment réévaluer leur expertise nouvellement acquise. Un expatrié ne revient pas forcément à un poste supérieur, à l’exception des hauts potentiels pour qui la case de l’international est obligatoire dans leur progression de carrière. L’autre danger, c’est la déconnexion avec la réalité française. S’il faut casser l’image d’enfant gâté - le rythme de travail à l’étranger est généralement soutenu – un expatrié vit dans un quartier « d’expats » et ses enfants sont scolarisés dans une école privée. Ces raisons expliquent qu’un grand nombre de salariés multiplient les expatriations. Cela peut d’ailleurs être une cause de turnover, si leur employeur ne leur propose pas une nouvelle destination. Loin des yeux, loin du coeur… L’expatrié doit garder le contact avec le siège. Je lui conseille de profiter d’un retour en France pour déjeuner avec son manager ou son DRH. Les nouveaux outils de communication à distance (réunions en ligne, visioconférences…) permettent aussi de maintenir ce lien.