Qu'apporte (vraiment) l'intelligence artificielle à la fonction RH ?

Qu'apporte (vraiment) l'intelligence artificielle à la fonction RH ?

Recrutement, formation, mobilité interne, gestion administrative… Les modèles d’intelligence artificielle interviennent dans un nombre croissant de processus RH. Pour quels bénéfices et quelles limites ?

Objet de tous les fantasmes, l’intelligence artificielle (IA) divise. Pour les uns, elle est appelée à se substituer à l’homme dans un grand nombre d’activités. Pour les autres, elle libère l’homme en le soulageant des tâches répétitives et sans valeur ajoutée. Longtemps éloignée de ce débat, la DRH est aujourd’hui appelée à se positionner.

La fonction RH est même concernée à deux niveaux. Elle doit tout d’abord accompagner l’adoption progressive des technologies de machine learning et de deep learning au sein de son entreprise. La DRH doit non seulement recruter les experts en data science - une denrée rare, mais aussi assurer la montée en compétences des autres salariés qui verront leur périmètre fonctionnel modifié avec l’IA. Par ailleurs, la DRH est utilisatrice elle-même de solutions à base d’IA. Recrutement, formation, mobilité interne, gestion administrative, prévention de l’absentéisme… un nombre croissant de processus RH sont concernés, même si le mouvement reste encore timide (lire ci-dessous). De son dépôt de candidature àson pot de départ, l’expérience collaborateur pourrait être demain alimentée par  une cohorte d’algorithmes et d’agents virtuels. Tout commence par le recrutement prédictif. Comme son nom l’indique, il s’agit de déterminer la capacité d’un candidat à réussir et à s’épanouir à un poste donné.

En valorisant les compétences comportementales, cette approche permet de repêcher des profils atypiques qui n’auraient pas pu passer la phase de présélection dans les méthodes traditionnelles. Neutre et dépourvue d’intention, l’IA éviterait, selon ses partisans,  les biais, conscients ou inconscients, d’un recruteur. Pour éviter l’effet boîte noire, Maud Ayzac, senior manager chez Wavestone, insiste sur l’importance de la transparence du modèle. « Il s’agit d’expliquer à un candidat pourquoi il est retenu ou non sur la base d’éléments factuels, comme ses compétences. Il y a bien sûr une dimension éthique pour éviter toute forme de discrimination à l’embauche. »

Placer le curseur au bon endroit

Une fois en poste, la nouvelle recrue est prise en charge par un chatbot. Cet agent conversationnel répond à ses interrogations concernant les modalités de pose de congés ou sur la politique salariale. Autant de questions récurrentes auxquelles les équipes RH n’auront plus à prendre en charge. Une fois que le collaborateur a un peu d’ancienneté, un coach de carrière prend le relais pour lui suggérer des possibilités d’évolution et les parcours de formation associés au regard de ses compétences, connues ou dormantes, de ses souhaits et des postes disponibles en mobilité interne.

Acteur de son employabilité, le collaborateur a aussi un accès libre à la plateforme d’e-learning qui lui suggère, à la façon d’un Netflix, des contenus pédagogiques en fonction de son profil. Grâce à l’adaptive learning, il ne sera formé que sur les compétences à développer et non celles déjà acquises. Un modèle statistique peut aller jusqu’à prévenir l’absentéisme en se basant sur les facteurs de risques et sur l’historique des données RH.

Bien sûr, comme le rappelle Maud Ayzac, il est de devoir de la DRH de placer le curseur au bon endroit et de trouver un équilibre entre l’humain et la technologie. L’IA reste une aide à la décision, et l’homme conserve la main sur les actions à engager dans ces différents processus RH.

—— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2966)

Étude : UN ACCUEIL ENCORE TIMIDE CHEZ LES DRH

Quelles sont les attentes des professionnels des RH par rapport à l’IA ? Axys Consultants a mené l’enquête1 fin 2019 auprès de 128 DRH en France. Les débuts sont encore timides. À cette date, seuls 11 % des DRH avaient déployé une solution d’IA, et pour 55 % ce n’était pas à l’ordre du jour. En matière de priorités, l’IA doit, pour 86 % des sondés, simplifier et optimiser la gestion administrative des RH en automatisant les tâches (paies, congés…), et, pour 78 %, permettre aux salariés de gérer leurs congés, leur carrière, les formations… En troisième position, l’AI doit améliorer le matching entre les candidats et les postes à pourvoir (77 %). En ce qui concerne les solutions d’IA déjà déployées, on trouve les chatbots pour gérer les candidatures (36 %), les outils d’automatisation des tâches administratives (28 %) et les modules de sondage en temps réel (23 %). À horizon trois ans, les DRH prévoient de faire davantage appel à l’IA pour l’automatisation des tâches administratives et pour le recrutement.
(1) https://bit.ly/2TJHYaO.

Prévision : solutions d'IA déployées d'ici à 3 ans

Avis d’expert : « TROUVER UN JUSTE ÉQUILIBRE ENTRE L’HUMAIN ET LA TECHNOLOGIE »

Maud Ayzac, senior manager chez Wavestone

Quel est le niveau de maturité des DRH en matière d’IA ?
Maud Ayzac : Les DRH matures sur le sujet et qui évoluent dans un environnement où la stratégie d’entreprise inclut l’ambition IA ont en perspective d’industrialiser les projets d’IA. Les autres DRH restent au stade de l’expérimentation. Dans tous les cas, il doit y avoir une acculturation des équipes de la DRH sur les apports de la data science et sur les fondamentaux de ces technologies. Les DRH débutent généralement par un POC sur un seul processus RH. Les pratiques les plus développées portent sur le recrutement, sur la formation, sur la montée en compétences. Ce n’est pas limitatif. Les apports de l’IA sur la rétribution et sur la prévention de l’absentéisme existent, mais sont moins connus.

Quels sont les principaux apports de l’IA ?
M. A. : Dans le domaine de la formation, l’IA permet de  personnaliser les parcours pédagogiques avec l’adaptive learning. Un parcours est découpé en plusieurs modules. Après une auto-évaluation, l’apprenant n’est formé que sur les seuls contenus dont il n’a pas encore acquis les compétences.

L’IA permet aussi d’améliorer l’expérience collaborateur, de sa candidature à son départ de l’entreprise. Il reçoit des réponses plus personnalisées, pertinentes et rapides à ses demandes ou besoins. La plateforme de formation va, par exemple, lui pousser des contenus en fonction de son profil. Avec cette logique d’autoformation, les collaborateurs sont davantage acteurs de leur employabilité. En gestion de carrières, l’IA peut suggérer des postes ou lieux de travail. Ces propositions constituent une base aux échanges entre le collaborateur, les RH et le manager.

L’IA suscite-t-elle toujours de l’appréhension chez les équipes RH ?
M. A. : Un gestionnaire de carrières a pu, dans un premier temps, se sentir menacé dans son emploi avant de percevoir la valeur ajoutée de l’IA. Une solution peut mettre en adéquation les souhaits d’un collaborateur et les postes disponibles en interne. Pour autant, ces suggestions de poste et de lieu de travail constituent seulement une base de discussion entre le gestionnaire de carrière et le collaborateur. L’homme conserve un pouvoir de décision par rapport à ces préconisations.

Cela s’applique aux autres processus RH. Dans le recrutement, la décision finale de retenir tel candidat relève du seul employeur. Il faut jouer sur la complémentarité et sur les interactions entre l’homme et la machine afin de trouver un juste équilibre entre l’humain et la technologie. Les DRH appréhendent mieux aujourd’hui ces enjeux. Ce n’est pas dû à un effet générationnel, mais plutôt à une ouverture d’esprit.