Salaires de 2021 : une année blanche ?

Salaires de 2021 : une année blanche ?

La crise sanitaire et économique plaide pour une modération salariale. Comme toujours, certains profils pénuriques tirent leur épingle du jeu. Panorama d’un marché de l’emploi chamboulé.

Après les évaluations annuelles vient le temps des négociations salariales. Cette année, elles seront particulièrement ardues au regard de la crise sanitaire et économique qui sévit dans le monde entier. Pour le cabinet de recrutement Robert Walters, 2021 pourrait être une année blanche avec une augmentation moyenne de 1 %, inférieure à l’inflation. Avec une chute de 8,3 % du PIB français en 2020, difficile en effet pour les entreprises de délier les cordons de la bourse.

Vers une revalorisation des salaires pour les profils rares

Conscients du contexte d’austérité, les salariés devraient d’ailleurs se montrer raisonnables. Selon l’étude de rémunération 2021 de Robert Walters, 26 % des cadres tablent sur une augmentation, contre 73 % l’année précédente. Au risque de creuser encore les inégalités salariales, seules 44 % des femmes oseront négocier leur rémunération cette année, contre 62 % de leurs collègues masculins. Paradoxe de la situation, la rémunération prend davantage d’importance dans l’esprit des salariés alors que leur motivation au travail est mise à rude épreuve avec la pandémie. À la cinquième place des priorités en 2020, le salaire se hisse en troisième position cette année. « Des professionnels peuvent légitiment estimer qu’ils ont fait beaucoup de sacrifices et que cela mérite une augmentation », juge Philippe Artero, directeur associé au cabinet Robert Walters. Le marché de l’emploi n’est évidemment par homogène et, comme lors de chaque crise, des profils tirent leur épingle du jeu. Des entreprises devraient ainsi revaloriser le salaire de certains profils rares et pénuriques, exigeant une réelle expertise technique et/ou managériale. L’augmentation peut atteindre jusqu’à 15 % en cas de changement d’employeur. Dans le domaine de l’industrie et de l’ingénierie, les experts de la gestion de la chaîne logistique (supply chain), de l’hygiène sécurité environnement (HSE) et du lean manufacturing sont particulièrement demandés (lire interview). Au niveau des fonctions support, la demande sera toujours soutenue au sein de la DSI pour les data scientists pour bénéficier des apports de l’intelligence artificielle. Avec la généralisation du télétravail et la multiplication des attaques informatiques, le rôle du directeur de la cybersécurité se voit aussi revalorisé. Pour les fonctions financières, le directeur de la trésorerie et le directeur administratif et financier (DAF) pourront voir, toujours selon Robert Walters, leur niveau de rémunération augmenter de 11 %.

Quid des ressources humaines ?

Sursollicitées lors des confinements pour la mise en oeuvre du chômage partiel, du télétravail et des protocoles sanitaires, les responsables de la fonction RH devraient être gratifiés pour les efforts consentis. Parmi eux, on peut citer l’expert des systèmes d’information des ressources humaines (SIRH), à la manoeuvre pour la dématérialisation des process RH, et le responsable des relations sociales. Garant d’un dialogue social serein en cette période de turbulences, ce dernier pourrait voir sa rémunération croître de 15 %. Cette année, les entreprises devront jouer serrer en matière de politique de rémunération pour ne pas voir partir les hauts potentiels et les rouages essentiels de leur organisation sans pour autant laisser filer leur masse salariale. L’époque est, en effet, propice à un grand mercato avec de nombreux salariés en quête de sens et de renouveau. Pour Antoine Morgaut, PDG EMEA et Amériques de Robert Walters, la guerre des talents est toujours latente en dépit de la crise. « Le besoin en talents est plus fort que les drames que nous vivons. Les entreprises doivent continuer à recruter pour anticiper les défis à venir. »

—— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2956)

Avis d’expert : « LA REVALORISATION SALARIALE N’INTERVIENT QU’EN CAS DE CHANGEMENT D’EMPLOYEUR »

Philippe Artero, directeur associé au cabinet Robert Walters

Quels métiers devraient profiter de la crise et voir les salaires augmenter ?
Philippe Artero : Les responsables de la supply chain sont actuellement très demandés avec la fermeture de frontières et les risques de ruptures d’approvisionnement. Face à ces incertitudes, il s’agit de sécuriser le sourcing des fournisseurs qualifiés. La crise sanitaire favorise aussi l’économie circulaire et le recours à des fournisseurs de proximité. Autres gagnants de la crise : les experts en lean manufacturing. Cette démarche d’amélioration continue permet de gagner en productivité et, dans l’agroalimentaire, d’augmenter les rendements en limitant la perte de matière. De même, les spécialistes en hygiène, sécurité et environnement sont recherchés. La HSE répond aux attentes des consommateurs en matière de qualité sanitaire, garantie par le respect des normes et des contrôles qualité.

Enfin, les métiers liés à la R&D dans le domaine du packaging ont le vent en poupe. Ils doivent concevoir des emballages innovants, recyclables, à l’empreinte carbone la plus basse possible. Dans ce domaine de l’innovation de rupture, les profils sont pénuriques et les bons candidats en poste. La revalorisation salariale n’intervient vraiment qu’en cas de changement d’entreprise

Faut-il justement changer d’employeur dans le contexte actuel ?
P. A. : Tout changement d’employeur comporte une prise de risque, surtout dans le climat d’incertitude actuel. Il y a une frilosité à bouger surtout si le nouveau poste implique un déménagement et la recherche d’un emploi pour le  conjoint et d’écoles pour les enfants. Les attentes des candidats n’ont pas fondamentalement changé mais le niveau d’exigences s’est en revanche accru. Un professionnel en poste est prêt à écouter à une opportunité de poste mais à condition qu’elle coche toutes les cases. Le poste doit être intéressant, la rémunération attractive, que le feeling passe avec le futur n+1, etc.

Des préoccupations environnementales entrent parfois en jeu. Un candidat posait, par exemple, comme condition de pouvoir travailler à vélo. Avec la crise, la quête de sens est de plus en plus vive. Un collaborateur veut savoir à quoi il sert, quelle est sa valeur ajoutée, qu’est-ce qui le pousse à se lever le matin.

Avec la crise, assiste-t-on à un exode des Parisiens vers la province ?
P. A. : Ce flux est constant depuis des années compte tenu du coût de la vie, de la pression immobilière, l’arrivée d’enfants. Il s’est un peu accru avec la pandémie mais je ne parlerai pas d’exode. La crise accentue surtout le phénomène de métropolisation. Les cadres parisiens sur le départ jettent leur dévolu sur les grandes villes régionales comme Lyon, Bordeaux, Toulouse ou Nantes. Elles proposent des transports en commun, un aéroport à proximité, une vie culturelle. C’est plus compliqué d’avoir ce cadre à Agen ou à Rodez.

Etude : LES MÉTIERS DE LA MAINTENANCE PLÉBISCITÉS

Selon l’étude de rémunérations 2021 de Michael Page, les salaires évolueront peu cette année. Parmi les métiers les plus sollicités, le cabinet de recrutement cite le technicien de maintenance ou SAV et le responsable de maintenance mais aussi l’automaticien, l’ingénieur en électronique embarquée, le directeur en excellence opérationnelle. Parmi les métiers rares mais en plein essor, on trouve le concepteur d’objets connectés, l’ingénieur en cybersécurité industrielle et l’energy manager (efficacité énergétique).