Bore-out, quand l'ennui au travail rend malade
Moins connu que le burn-out, l’épuisement au travail dû à un ennui chronique produit pourtant la même détresse psychologique. Quelques bonnes pratiques pour identifier et pour accompagner les personnes à risques.
Le burn-out est désormais un phénomène bien identifié. Il traduit un état d’épuisement physique et psychique extrême consécutif à un trop-plein d’activité et un surcroît de stress. Beaucoup moins connu, le bore-out est, en quelque sorte, son miroir inversé. Il s’agit là aussi d’un épuisement professionnel, mais résultant d’un ennui chronique, d’une sous-charge de travail sur la durée.
L’ennui au quotidien
L’ennui au travail étant un sujet encore tabou, l’employé souffre d’être en sous-emploi et de devoir cacher son oisiveté. Ce manque de stimulation intellectuelle et de reconnaissance professionnelle peut devenir un véritable supplice. L’individu se sent dévalorisé et l’expression « s’ennuyer à mourir » prend tout son sens. Le sentiment d’inutilité le consume à petit feu. Si tout le monde a été confronté, au moins une fois dans sa vie, à une baisse d’activité, l’ennui au quotidien peut vite devenir insupportable. Alors que, dit-on, le travail est la santé, tuer en permanence le temps au travail rend malade. Non pris en charge, ce mal-être peut provoquer un désengagement, une perte d’estime de soi, un isolement social, des conduites addictives, voire une véritable détresse psychologique : des risques psychosociaux tout sauf anodins.
« L’ennui au travail a toujours existé, tempère Léopold Denis, cofondateur de Moodwork. Travailler à fond tous les jours, du matin au soir, n’est pas souhaitable. Il peut aussi y avoir des périodes de relâchement après une surcharge de travail, comme la clôture d’un bilan comptable. C’est l’ennui à haute dose qui pose un problème. »
Selon lui, les entreprises ne sont pas assez matures sur le sujet. « Il faut commencer par lever le tabou pour parvenir à une acception sociale et morale d’un phénomène bien réel. Les entreprises se réorganisent en permanence avec la transformation numérique, l’automatisation des processus ou, plus récemment, la généralisation du télétravail. Ces changements permanents créent des trous d’air. Des personnes se retrouvent au placard ou en sous-emploi. »
Dans une société de plein-emploi, une personne insatisfaite de son travail n’hésitera pas à en changer. En revanche, dans un contexte de chômage élevé, elle s’accrochera à son poste, quitte à en souffrir. Si les conséquences peuvent être identiques, le bore-out ne doit pas être confondu avec le brown-out. Dans ce cas de figure, le salarié ne trouve plus de sens à son travail. Il trouve les tâches que l’on lui confie absurdes et estime exercer un « bullshit job ».
La communication, un facteur clé
Comme pour toute pathologie professionnelle, la lutte contre le bore-out passe par des actions de prévention. La DRH a un rôle à jouer dans l’identification des personnes à risques. Pris dans une spirale négative depuis des mois, voire des années, le salarié a besoin d’être accompagné pour prendre conscience de son état. Une cellule d’écoute psychologique peut l’aider à verbaliser les causes de son mal-être.
Si son état le permet, il s’agit ensuite d’évaluer avec lui si cette sous-charge de travail est liée à son poste, à une réorganisation, à l’arrivée d’un nouveau manager ou bien à un retour au travail mal négocié à la suite d’un long arrêt maladie. Les causes peuvent être nombreuses et se cumuler. La communication est la clé de tout. Alerté par le problème, le manager redéfinit avec le collaborateur ses tâches ou lui en confie de nouvelles, redonne une cohérence d’ensemble à son travail. Ses collègues et les représentants du personnel peuvent jouer un rôle d’intermédiaires pour débloquer la situation.
Et si le poste n’est visiblement plus adapté au collaborateur, un bilan de compétences, puis des actions de formation, voire de reconversion doivent être engagées pour favoriser une mobilité interne. Enfin, au bout du bout, un départ négocié peut être envisagé, assorti de tout le dispositif d’outplacement.
— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2976)
Étude : PRÈS DE DEUX TIERS DES FRANÇAIS S’ENNUIENT AU TRAVAIL
Une étude du site de recrutement Qapa, datant de 2019, donne une idée du phénomène de bore-out. On apprend que 63 % des Français s’ennuient au travail et que 28 % le jugent même « très ennuyeux ». Les femmes semblent plus touchées, puisqu’elles sont plus de 51 % à avouer vivre très mal ce désoeuvrement au travail, contre 39 % de leurs collègues masculins. Ces salariés ne montrent rien de leur lassitude, puisque plus de 89 % des femmes et 91 % des hommes avouent cacher leur ennui au travail. Pire, 62 % déclarent faire semblant d’avoir une activité passionnante. Les employés seraient prêts à faire des concessions. Plus de 54 % d’entre eux déclarent préférer avoir un salaire plus bas s’ils ont un travail plus intéressant et pendant lequel ils ne s’ennuient pas.
Avis d’expert : « LE BORE-OUT A LES MÊMES CONSÉQUENCES DÉLÉTÈRES QUE LE BURN-OUT »
Léopold Denis, cofondateur et directeur des opérations de Moodwork
Comment définir le bore-out ?
Léopold Denis : Ce phénomène se caractérise par un état psychologique négatif lié à une sous-charge de travail. Les signes avant-coureurs sont un ennui manifeste, un manque de stimulation et plus généralement une insatisfaction. Le collaborateur ressent une inadéquation entre ses aspirations, ses valeurs et le rythme de travail qu’on lui impose. L’individu souffre d’être en sous-activité, alors que la société et l’éducation prônent la valeur travail. Il peut accepter temporairement cette situation faute de mieux, pour des raisons économiques, ou en occupant son temps de travail par des activités personnelles. Les symptômes sont similaires à ceux du burn-out avec un épuisement physique et psychologique, une perte de la confiance en soi.
Que peut faire une DRH ?
L. D. : Pour une DRH, le bore-out a les mêmes conséquences délétères que le burnout, avec une recrudescence des risques psychosociaux et de l’absentéisme. Un plan de prévention doit permettre d’identifier les personnes à risques le plus en amont possible. Il est, en effet, très difficile de remettre sur les rails une personne vidée de son énergie. Celle-ci devra se reconstruire avant d’envisager, par exemple, une formation pour la remettre sur un poste productif. Employeur comme employé, tout le monde a intérêt à lutter contre ce fléau.
Comment se présente l’outil d’autoévaluation proposé par Moodwork ?
L. D. : Disponible gratuitement en ligne, ce test sur le bore-out est le premier validé scientifiquement en France. Il s’articule autour de 15 questions qui permettent d’évaluer les quatre grands facteurs du bore-out, que sont la sous-charge de travail, la sous-stimulation, le vécu négatif et l’inadéquation des valeurs. Un employé sait ainsi en quelques minutes s’il présente un risque inexistant, faible, fort ou avéré de bore-out. L’objectif est de sensibiliser un maximum de personnes sur ce fléau méconnu. La première étape de la guérison, c’est de prendre conscience de sa situation et de sortir du déni. Il est ensuite possible d’échanger avec son manager, un collègue, un responsable RH, ses proches, un psychologue.