"Changer de métier nécessite de construire un projet"
La société de conseil auprès des dirigeants Adventia est spécialisée dans le reclassement des salariés. Eudes Werra, l’un des consultants, nous livre son expérience sur les conditions de réussite lors d’un changement de métier.
En quoi consiste une reconversion intersectorielle ?
Eudes Werra : Il s’agit principalement de changer de métier, mais aussi parfois d’apprendre à exercer son ancien métier de manière différente, dans un univers différent, avec des outils différents.
Si notre expérience des reconversions intersectorielles s’inscrit dans le cadre de plans de sauvegarde de l’emploi que nous confient nos clients, certains salariés peuvent souhaiter ce type de reconversion pour des raisons personnelles ou parce qu’ils se rendent compte que leur activité est en déclin, du fait d’évolutions technologiques par exemple. Il me semble, de manière générale, que les salariés ont davantage conscience qu’il est peu probable d’exercer le même métier au sein de la même entreprise durant toute leur carrière professionnelle.
Comment aborder sereinement une telle évolution ?
E. W. : Dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, mais pas uniquement, le salarié doit d’abord faire le deuil de son ancien métier. Ensuite, l’objectif est de construire un véritable projet qui allie à la fois ses compétences et ses aptitudes, ses envies et les besoins du marché de l’emploi dans le secteur géographique où il souhaite travailler.
Le fait d’avoir un certain âge est-il un handicap pour changer de métier ?
E. W. : Je ne vous apprends rien en disant que les personnes les plus âgées ont plus de mal à retrouver un emploi. Au fur et à mesure des années, les salariés expérimentés ont acquis un certain nombre de connaissances et de savoir-être, et ils peuvent apporter une véritable valeur ajoutée à l’entreprise qui recrute. C’est avant tout le comportement au travail qui peut faire la différence ! Est-il plus rassurant pour un recruteur d’engager une personne qui va apporter une réponse à son besoin ou un jeune démotivé qui se présente en quémandeur d’emploi ? Ceci est, bien évidemment vrai, dans les deux sens, car la valeur n’attend pas le nombre des années !
Les facteurs de réussite passent donc par un travail sur soi…
E. W. : Bien sûr, car il faut s’intéresser à la personne au-delà du salarié. Il est nécessaire que celui-ci prenne du recul pour s’interroger sur ce qu’il aime, sur ce en quoi il est bon (ou peut devenir bon), et pourquoi. Cette prise de recul est effectivement un préalable nécessaire à la construction de son projet. Si la personne se pose les bonnes questions, alors le projet va pouvoir se construire petit à petit. Le piège est de se considérer comme un « demandeur » d’emploi, et d’affronter les entretiens d’embauche sans avoir le niveau de confiance en soi suffisant pour inspirer un recruteur. Cela demande parfois du temps. J’ai vu des situations où il a fallu six mois pour redonner confiance à la personne. Mais, dans la plupart des cas, il n’est pas nécessaire de faire appel à un psychothérapeute pour y parvenir ! Avec le consultant, le salarié va petit à petit retrouver une certaine assurance. Un autre piège à éviter est de se lancer tête baissée dans une formation de reconversion sans avoir une vision suffisamment fine de la réalité du métier. La formation ne doit pas être considérée comme une fin en soi, mais comme une étape nécessaire à la réalisation d’un projet réfléchi et choisi en connaissance de cause.
Existe-t-il une typologie des personnes capables de changer de métier ?
E. W. : Chaque cas est particulier. Il n’existe pas de profil type. Tout est question de volonté, d’état d’esprit et d’envie. La question serait plutôt : « Les entreprises sont-elles prêtes à aller sur ce canal de recrutement en oubliant les “deux ans d’expérience minimum dans un poste similaire” ? Sont-elles prêtes à jouer le jeu en donnant la chance à la personne de “tester” le métier par le biais d’un stage, d’une mission d’intérim ou d’un dispositif pôle emploi ? »
Pensez-vous que les entreprises soient plus enclines à embaucher aujourd’hui des personnes sans expérience ?
E. W. : Il existe des métiers sous tension aujourd’hui. Et c’est tout le paradoxe de l’emploi en France, où le taux de chômage reste élevé. J’ai pu constater que les entreprises qui réussissent la « greffe » de personnes sans expérience sont celles qui sont capables de partager avec les candidats en reconversion une vision à moyen terme dans laquelle ils peuvent se projeter. Une vision qui donne du sens au travail proposé, qui laisse entrevoir des possibilités d’évolution en matière d’acquisition de compétences, d’expérience, de rémunération, voire de responsabilités.
Quels sont les arguments des recruteurs envisageant d’embaucher des salariés en reconversion ?
E. W. : Une candidature intersectorielle ne se traite pas de la même manière que celle de quelqu’un qui connaît le métier. Dans le cadre d’une candidature classique, on regarde d’abord les compétences, puis, à compétences égales, c’est la personne qui fera la différence. Dans le cadre d’une candidature intersectorielle, on s’intéresse d’abord à la personne. Si les connaissances techniques peuvent s’acquérir par la formation, les aptitudes comportementales ne s’apprennent pas. Or, elles sont fondamentales dans les reconversions. Si un minimum de prérequis reste indispensable pour changer de métier, le deal pourrait être d’offrir un cadre d’acquisition des compétences techniques et d’expérience, en échange de capacités comportementales propres à assurer une performance à
court ou à moyen terme.
Comment, d’après vous, se définit une reconversion réussie ?
E. W. : Pour moi, une reconversion est réussie lorsque la personne retrouve le sourire en exerçant son nouveau métier au quotidien.
Et si les compétences du salarié sont trop éloignées des souhaits qu’il projette sur son futur métier ?
E. W. : Il faut être réaliste. Une personne qui a le niveau bac et qui souhaite un poste d’ingénieur a peu de chance de trouver une entreprise qui l’embauche, et donc de réussir dans le métier. En revanche, si la personne est motivée et qu’elle en a les possibilités, il n’est jamais trop tard pour se former ou pour reprendre des études.
—— Propos recueillis par Marie-Dominique GUIHARD (Tribune Verte 2913)
Perspectives : DES ENGAGEMENTS INTERSECTORIELS
Le 1er octobre 2018, le ministère du Travail et les représentants des secteurs de la métallurgie (Union des industries et métiers de la métallurgie, Organisme paritaire collecteur agréé des industries de la métallurgie) et de l’alimentaire (Ania, Coop de France et Opcalim) de la région de Beauvais et de Saint-Quentin (60) signent un engagement de développement de l’emploi et des compétences (Edec). Cent mille euros sont dédiés à cette expérimentation sur les passerelles intersectorielles. Trois mois plus tard, le comité de suivi livre ses premiers résultats. Il a d’abord été question de mettre en évidence les besoins en compétences communs aux entreprises de l’alimentaire et de la métallurgie. Par exemple, il existe de vraies passerelles entre les métiers de conducteur de ligne, de conducteur de machine ou de technicien de maintenance dans ces deux domaines. Un état des lieux des dispositifs existants et des stratégies d’entreprise mérite d’être formalisé. Une mise en synergie des acteurs de l’emploi et de la formation du territoire devrait apporter des réponses adaptées et opérationnelles sur les bassins. Enfin, cette expérience devrait déboucher sur la réalisation d’un kit adaptable à d’autres régions.
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