Comment (bien) mesurer le temps de travail
Avec la crise sanitaire et la généralisation du télétravail, les entreprises ont plus que jamais besoin de mesurer le temps de travail de leurs employés. Ce suivi, qui répond à des obligations légales, peut aussi être un outil précieux pour le management.
Loin des yeux, loin du coeur… La généralisation du télétravail induite par la crise sanitaire a conduit certaines entreprises à exercer un contrôle accru de l’activité de leurs employés. Comment s’assurer que les collaborateurs travaillent réellement à temps plein quand ils ne sont plus présents physiquement au bureau ? Comment mesurer leur productivité ?
Selon une étude du site GetApp, 45 % des salariés français travailleraient dans une entreprise qui utilise des outils de surveillance et, dans 20 % des cas, ce suivi aurait débuté avec la pandémie. Ces logiciels édités par les sociétés américaines Hubstaff, Teramind ou CleverControl prennent le contrôle à distance des ordinateurs des employés pour réaliser des captures d’écran, enregistrer la frappe du clavier, accéder à la webcam et au micro ou contrôler les sites Web consultés.
En France, le recours à de tels outils espions est, bien sûr, très fortement encadré. Non seulement les instances représentatives du personnel doivent être informées ou consultées avant leur déploiement, mais la Cnil rappelle sur son site le principe de proportionnalité avec le but recherché et le respect de la vie privée des salariés.
Ces logiciels de surveillance ne doivent pas être confondus avec les outils de gestion des temps et activités (GTA). Bien utilisés, ces derniers poursuivent des objectifs radicalement différents, voire opposés.
Répartir équitablement la charge de travail
La mesure du temps de travail répond tout d’abord à une exigence légale, notamment dans le cas du traitement des heures supplémentaires. Avec le télétravail et des employés qui se connectent au système d’information de l’entreprise hors du bureau et parfois en dehors des heures de travail, leur décompte devient compliqué. Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 mai 2019 incite d’ailleurs les entreprises à ce suivi, afin que les heures « sup’ » soient pleinement reconnues et payées.
La mesure du temps de travail permet également d’identifier les situations à risque lorsque l’employé est en surcharge d’activité et s’expose à des risques psychosociaux, voire à un burn-out. Plus classiquement, le décompte des heures travaillées permet d’établir les congés pris ou acquis ou les absences sur le bulletin de paie. Cette collecte automatique libère du temps à la DRH. Le suivi de l’activité est aussi un outil précieux pour le management. Ayant une vue objective de la façon dont un collaborateur travaille, un manager peut lui prodiguer des conseils pour mieux s’organiser, lui proposer une formation sur la gestion du temps ou – au contraire, si tout se passe bien – lui accorder davantage d’autonomie.
En mesurant ses temps d’activité, un collaborateur prend du recul sur son travail et peut découvrir qu’il sous-évaluait ou surévaluait l’importance de certaines tâches. À partir de ces données empiriques, il sera mieux à même de prévoir précisément le temps qu’il lui faudra à l’avenir pour réaliser telle activité. C’est aussi un moyen de parvenir à un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Cette mesure du temps de travail peut encore s’inscrire dans un cadre collectif quand il s’agit de gérer un projet. Elle peut aider un chef de projet à répartir équitablement la charge de travail entre les membres de son équipe et à détecter d’éventuels goulets d’étranglement. Des tâches mal évaluées se révèlent beaucoup plus chronophages que prévu.
Par souci de transparence et d’équité, un manager peut partager ce décompte des heures. Tous les collaborateurs savent alors qui fait quoi en combien de temps. Pour emporter l’adhésion des collaborateurs, la mesure du temps de travail doit, de toute façon, reposer sur une relation de confiance.
— Xavier BISEUIL (Tribune Verte 2986)
DES PME PEU ET MAL OUTILLÉES
Selon un sondage de l’éditeur Beebole, moins d’un tiers (32 %) des PME françaises mesurent le temps de travail de leurs employés. Parmi elles, seules 42 % des entreprises ont mis en place un logiciel de suivi de temps, les autres utilisent un tableur de type Microsoft Excel ou Google Sheets.
Sur les raisons qui incitent les PME à mesurer le temps de travail, 65 % le font à des fins d’analyse, 31 % pour des raisons légales et 19 % pour collecter des données pour le suivi budgétaire. Plus généralement, près de huit dirigeants de PME sur dix estiment que ce suivi les aide à mieux piloter leur activité.
Avis d’expert : « LA SURVEILLANCE DES EMPLOYÉS BRISE LA RELATION DE CONFIANCE »
Yves Hiernaux, PDG de Beebole
Quel est l’intérêt de mesurer le temps de travail ?
Yves Hiernaux : Il est multiple. La mesure du temps de travail permet à une entreprise de mieux comprendre comment son organisation fonctionne ; une aide utile pour s’assurer de la rentabilité d’un projet ou améliorer ses process opérationnels. Quelle tâche prend beaucoup de temps ? Comment l’optimiser en la découpant, en l’automatisant ou en affectant plus de personnes ? Dans le domaine de la gestion de projet, la mesure du temps de travail permet d’identifier d’éventuels dépassements de délai et de ressources et de rectifier le tir ou bien de renégocier une rallonge budgétaire auprès du client. Sur le plan légal, une DRH a besoin de savoir combien de temps un employé passe au travail, que ce soit en présentiel ou chez lui en télétravail. N’est-il pas en surcharge ? Fait-il des heures supplémentaires ? Prend-il bien ses congés ?
Comment expliquer le faible nombre d’entreprises qui assurent ce suivi ?
Y. H. : Il y a encore un travail d’évangélisation à faire pour rappeler l’intérêt de recourir à un outil de mesure du temps de travail. Du côté des salariés, ce suivi peut être perçu comme une contrainte de plus ou apparenté à du flicage. Il s’agit d’être pédagogue et d’expliquer les objectifs poursuivis. La mesure du temps de travail permet à une entreprise de rapidement facturer ses clients – un enjeu clé - ou de mieux s’organiser en identifiant les tâches chronophages. Cela permet de mettre à plat le temps réellement consacré à telle ou telle tâche.
Comment emporter l’adhésion des collaborateurs ?
Y. H. : La relation de confiance est essentielle. Rajouter des fonctionnalités de surveillance, comme la prise de captures d’écran, brise cette confiance. Dans les faits, les salariés travaillent généralement plus longtemps que ne le pensent leurs employeurs. Ce management par la confiance est la clé d’une stratégie réussie de télétravail. Certaines entreprises passent plus de temps à contrôler leurs employés qu’à gérer concrètement leurs projets. Il faut aussi jouer la carte de la simplicité et ne pas commencer avec des ambitions trop fortes. Si un collaborateur se retrouve face à une liste énorme de tâches à détailler, il se découragera ou bien se trompera dans la saisie de son temps. Mieux vaut commencer par une structure d’activité simple pour emporter l’adhésion des employés. L’entreprise peut ensuite, si nécessaire, ajouter progressivement de la complexité.