Cultures annuelles, prairies… L’agriculture stocke aussi du carbone

Cultures annuelles, prairies… L’agriculture stocke aussi du carbone

Une étude récente de l’Inrae rappelait qu’en augmentant de 0,4 ‰ (initiative 4 pour 1 000) les stocks de carbone des sols agricoles chaque année, on neutralise l’augmentation annuelle des émissions de CO2 dans l’atmosphère. Longtemps accusée d’émettre du carbone dans l’atmosphère, l’agriculture est désormais appréhendée comme une solution face à la problématique du changement climatique.

«Le stockage de carbone dans les sols semble être nouveau au regard des nombreuses communications sur le sujet, note Claire Chenu, chercheuse à l’Inrae en science du sol, biogéochimie et matières organiques. Or, le fait que l’agriculture possède un potentiel de stockage de carbone important est connu du milieu scientifique depuis longtemps, en particulier depuis 2008 et la publication d’un rapport du Giec. L’initiative 4 pour 1000, plus récente, a permis la généralisation de cette prise de conscience. Stéphane Le Foll, alors ministre de l’Agriculture, a eu l’intelligence de révéler que l’agriculture est certes émettrice de gaz à effet de serre (GES) mais qu’elle est également une partie de la solution. Le fait est que l’agriculture, et particulièrement les cultures annuelles, conduit à un déstockage de carbone des sols. C’est établi, et l’étude 4 pour 1 000 Inrae l’a confirmé pour la France. » Sylvain Pellerin, directeur de recherche à l’Inrae, confirme : « L’agriculture est une activité émettrice nette de GES. Environ 18 % des GES au niveau national. Ce qui est nouveau, c’est la prise de conscience qu’elle peut améliorer son propre bilan en stockant du carbone dans les sols. L’agriculture ne deviendra pas pour autant un puits net de carbone, mais si tous les leviers sont actionnés, elle peut stocker 31 millions de t éqCO2/an. Soit 7 % des émissions françaises. » Claire Chenu ajoute que « cela représente 41 % des émissions de GES du secteur agricole » et poursuit en précisant que « si dans le même temps, un quart des prairies permanentes est retourné, le bilan des pratiques stockantes additionnelles est annulé ! »

Stocker davantage en grandes cultures et conserver les prairies

Le potentiel des pratiques stockantes additionnelles peut être estimé de différentes façons, note la chercheuse d’Inrae : « Nous distinguons le potentiel biophysique du potentiel technique. Le premier correspond au potentiel maximum du sol dans son environnement en faisant fi de tout le reste. Nous estimons que c’est le potentiel des sols sous forêt ou prairie permanente. » Sylvain Pellerin estime que « dans ces sols, le stock de carbone peut dépasser 100 t/ha, voire atteindre 150 t/ha sous climat froid et humide, peu propice à la minéralisation. » Il évoque toutefois une moyenne plus proche de 80 à 85 t/ha de carbone dans les sols sous prairies permanentes. C’est là qu’entre en jeu le potentiel technique. Claire Chenu indique « qu’il s’agit du potentiel réalisable au plan agronomique et compte tenu des connaissances techniques actuelles ». Ainsi est-il établi que les sols de grandes cultures comptent en moyenne 50 t/ha de carbone. « Ils sont donc loin d’être à saturation », lance le directeur de recherche, qui précise dans la foulée qu’actuellement, l’horizon 0-30 cm des sols agricoles français stocke déjà 1,74 milliard de tonnes de carbone. Ce qui laisse augurer de l’importance du compartiment sol dans le stockage du carbone.

Les couverts végétaux d’interculture représentent 35 % du potentiel total

« L’étude 4 pour 1 000 est probablement l’étude la plus fouillée qui ait été réalisée sur le potentiel de stockage de carbone à l’échelle d’un pays, considère Claire Chenu. Ce n’est pas par hasard qu’un programme européen (EJP Soil) est en cours pour promouvoir la réalisation d’études similaires dans chaque pays de l’Union. La FAO a également lancé un projet similaire. Ainsi, nous pourrions observer une cartographie assez précise du potentiel de stockage des sols agricoles mondiaux dans les deux années à venir… »

En attendant, l’étude 4 pour 1 000 a permis de mettre en évidence certains leviers d’action pour la France. Pour les prairies d’abord, l’enjeu n’est pas tant d’augmenter encore leur concentration en carbone mais bien plus de conserver les stocks actuels en préservant ces zones. Les leviers d’action pour l’augmenter sont mineurs sur ces surfaces et se résumeraient à privilégier le pâturage à la fauche.

Le levier principal de stockage de carbone concerne les surfaces supportant des cultures annuelles : les grandes cultures. « Il convient d’éviter les sols nus, indique Sylvain Pellerin. Ce qui revient à la généralisation des couverts végétaux d’interculture. Ce levier représente à lui seul 35 % du potentiel de stockage additionnel de carbone dans les sols, à raison de 130 kgC/ ha/an sur l’horizon 0-30 cm de 16 millions d’hectares. 130 kgC/ha/an sont un chiffre prudent calculé à partir de situations où la pratique des couverts végétaux existe déjà en partie, notamment dans les zones vulnérables nitrates. Avec une situation de départ sans couvert d’interculture, le potentiel de stockage annuel sera nécessairement plus important, et il dépend bien évidemment des conditions pédoclimatiques de chaque milieu. » Même chose d’ailleurs pour l’agroforesterie, qui représente 20 % du potentiel de stockage. Le troisième levier le plus conséquent consiste au remplacement du maïs ensilage par des prairies temporaires, avec 13 % du potentiel total. Ce levier s’explique par le peu de retour de carbone au sol des maïs ensilage, puisque la plante est entièrement exportée.

—— Mathieu LECOURTIER (Tribune Verte 2960)

Label bas-carbone : LE STOCKAGE DU CARBONE, NOUVELLE SOURCE DE REVENU

Le label bas-carbone permet de certifier des projets de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et de séquestration carbone dans tous les secteurs, y compris celui de l’agriculture, et de les valoriser économiquement. Élaboré par le ministère de la Transition écologique, le label bascarbone a été adopté en 2019 pour atteindre les objectifs climatiques de la stratégie nationale bas-carbone. Il s’agit du premier cadre de certification climatique volontaire en France. Il garantit que les projets de réduction ou de séquestration du carbone réalisés sur le territoire national contribuent correctement et de manière transparente à atteindre les objectifs grâce à des méthodes crédibles et vérifiées de comptabilisation des émissions des gaz à effet de serre (GES). L’agriculture peut s’engager dans le label bas-carbone, notamment en augmentant la matière organique des sols par différentes techniques agronomiques (agroécologie, agriculture de conservation). En élevage et en cultures végétales, il est possible d’utiliser l’agroforesterie, par exemple en plantant des haies, de valoriser les déjections animales (prairies permanentes, méthanisation), de réduire l’utilisation d’engrais chimiques par exemple en utilisant des plantes légumineuses. On peut aussi agir sur l’empreinte globale par exemple en limitant les importations d’aliments pour animaux. Les exploitations pourront être accompagnées financièrement dans leurs projets certifiés label bas-carbone par les entreprises ou collectivités locales qui souhaitent compenser leurs émissions de CO2 grâce à des « crédits carbone ». En définitive, le label bas-carbone permet d’impliquer toute la société dans la lutte contre le changement climatique à travers des projets collaboratifs.