Didier Mahé, Bienvenue à la Ferme : Le tourisme agricole pour se diversifier
Apparu il y a 33 ans grâce à des agriculteurs, Bienvenue à la ferme compte aujourd’hui 8 000 adhérents. En plus de trois décennies d’existence, le réseau a évolué et s’est adapté pour attirer plus de visiteurs. Une tendance qu’a observée de près Didier Mahé, responsable régional Bretagne et des circuits courts au sein de la structure.
L’offre touristique à la ferme se diversifie depuis plusieurs années : pensez-vous que ce soit dû à une forte demande des visiteurs ou à une envie d’adaptation des agriculteurs ?
Didier Mahé : Un peu des deux. Dans l’offre agritouristique, il y a la partie tourisme et service accueil. J’ai le sentiment qu’il y a des porteurs de projet qui s’installent avec cette démarche. Les projets des agriculteurs naissent aussi d’échanges qu’ils ont parfois avec le milieu familial élargi, à la suite de vacances.
En parallèle, dans les territoires ruraux, les opportunités touristiques se formalisent, comme le vélo, avec lequel on va rechercher des lieux qui ne sont pas forcément les bords de côtes. Par exemple, si une personne possède une ferme près du canal de Nantes à Brest, qui est presque devenu une destination touristique, les agriculteurs à proximité peuvent proposer des lieux sécurisés, des expériences complémentaires. Avant, héberger quelqu’un à vélo n’était pas si simple parce que le programme n’était pas calé à l’avance ; aujourd’hui, avec des solutions de réservation, de visibilité pour ces fermes, les choses deviennent possibles ou plus faciles.
L’agriculteur a le foncier, il peut avoir les capitaux, et réagir assez vite. Nous voyons des systèmes d’hébergement pour cyclistes qui assurent le branchement du vélo. Ce sont des offres qui peuvent très bien être installées dans une ferme. Je crois même que des agriculteurs des Deux-Sèvres ont envisagé de le réaliser sur un trajet de piste cyclable.
Sous quelles formes se développe cette offre de tourisme à la ferme ?
D. M. : Aujourd’hui, sur les fermes en tant que telles, il peut y avoir des offres assez classiques, comme des roulottes en complément d’hébergements. Certaines structures peuvent être rénovées avec des gîtes, des chambres d’hôtes. Il va y avoir aussi des expériences comme Un Lit au pré. Notre président, pour sa part, a transformé des tonneaux en chambres dans le Calvados. Il va aussi y avoir des solutions camping. Les formats y sont différents : cabanes dans les arbres, yourtes, accueil d’enfants, sont aussi des démarches assez demandées en Ille-et-Vilaine, qui répondent à des besoins ou à des sollicitations.
Quelles activités fonctionnent le mieux auprès du public ?
D. M. : Pour moi, c’est quand il y a une cohérence d’ensemble entre la communication et les outils de réservation. Aujourd’hui, le fonctionnement ne va pas forcément être en lien avec une proposition, il faut une qualité d’accueil, une disponibilité des activités à proposer sur place. Par exemple, une balade dans les champs dans une ferme à Quimper, quand le lin est en fleur, quand les cultures sont en place. D’autres proposent des parcours de découverte de la biodiversité, des préparations aux galettes si c’est en Bretagne. L’une des difficultés des agriculteurs est qu’ils ont du mal à promettre : comment prévoir à l’avance la naissance d’un veau ? Ils veulent rester dans un accueil simple et spontané, donc en décalage avec l’organisation touristique classique.
Quelle place occupe le tourisme agricole aujourd’hui en France dans le secteur des voyages ?
D. M. : Nous avons du mal à dimensionner réellement l’importance au niveau national que ce soit en nombre de fermes et d’accueils, ou en chiffre d’affaires.
Les touristes étrangers s’intéressent-ils au tourisme agricole ? Ont-ils les mêmes attentes que les Français dans ce domaine ?
D. M. : Les publics étrangers s’intéressent aux régions qui ont un certain attrait pour l’agriculture, notamment les Belges et les Néerlandais, une clientèle appréciée car agréable. Le côté limitant peut être lié à la maîtrise des langues. Les jeunes qui s’installent ont parfois des expériences à l’étranger, donc avec une dimension internationale plus naturelle. D’autres saisissent l’opportunité du tourisme plus lié à un territoire, et pas avec la même aisance pour parler l’anglais.
À quelle hauteur le tourisme à la ferme participe-t-il de l’attractivité des territoires ?
D. M. : Ce tourisme-là permet à l’agriculteur d’obtenir un sentiment de reconnaissance, cela le met dans une dynamique positive avec son entourage, car celui qui vient de loin a un regard un peu neuf, il va être sensible à l’accueil reçu. Dans la vie d’un terroir, avoir des agriculteurs qui sont bien dans leur peau, c’est un élément important. Nous souhaitons recenser tous ces petits coins qui peuvent inviter les visiteurs à ne pas aller s’agglutiner sur des plages où il y a déjà une grande densité de personnes. De plus, par son implantation sur le territoire, l’agriculteur est quand même celui qui connaît souvent assez bien les lieux alentour, il peut suggérer pas mal de destinations. Les travaux réalisés amènent aussi des démarches d’investissement. Nous avions réalisé une étude il y a quelques années auprès de nos adhérents ; celle-ci montrait que le taux d’agriculteurs avec des projets et des investissements était relativement important : cela génère de l’économie locale.
Est-il possible de chiffrer les emplois générés par le développement du tourisme à la ferme ?
D.M. : Nous avons réalisé une enquête récemment auprès d’une vingtaine de fermes assez importantes : toutes avaient entre cinq et dix emplois sur place, voire plus. De notre côté, nous avons 300 adhérents en Bretagne, 200 ont une activité d’accueil régulière, il y a au minimum un emploi qui est lié à cette activité, soit par le service (hébergement ou autre), soit par les ventes de produits.
—— Propos recueillis par Pierre MOYON (Tribune Verte 2969)
BIENVENUE À LEURS FERMES
Pour accueillir les curieux, de nombreux agriculteurs du réseau Bienvenue à la ferme ont opté pour un accueil varié ou original. Angèle Bazin concentre, par exemple, l’essentiel de son activité autour de l’âne. Aujourd’hui, le couple qu’elle forme avec son mari maréchal-ferrant en possède 18, ânesses et ânons compris. Dans leur ferme, qu’ils ont appelée Turs’Ane (jeu de mots lié à Castelnau-Tursan, le village des Landes où ils résident depuis 2006), le duo reçoit tous types de visiteurs, « des curistes de la station thermale d’Eugénie-les-Bains toute proche, et des touristes, mais aussi des locaux et/ou leur famille et amis, et des groupes de diverses associations plus ou moins lointaines. Des curieux également, heureux de découvrir les vertus des produits cosmétiques au lait d’ânesse bio ».
Au Domaine des Hautes Collines, situé à Saint-Jeannet dans les Alpes-Maritimes, Georges Rasse préfère partager sa passion pour le vin, suivant ainsi les pas de sa famille, soustraitant vigneron depuis 1850, et de son père, « précurseur du camping à la ferme » il y a 60 ans. Point commun avec Angèle Bazin : lui aussi travaille en famille. Son frère peintre, disciple de Chagall, lui permet en effet de « choisir un tableau pour accompagner une bouteille ». Un rituel instauré pour chaque millésime qui attire autant les étrangers (50 % de sa clientèle avant la Covid-19) que les Français. Autre particularité que Georges Rasse tient à mettre en avant : il propose des « vins mis dans des dames-jeannes pendant trois à quatre mois, et sans additif, donc aucun sulfite ».