Employabilité : Etes-vous prêt pour le strategic workforce planning ?

Employabilité : Etes-vous prêt pour le strategic workforce planning ?

Engagée dans un strategic workforce planning, une entreprise anticipe le développement de nouvelles compétences pour assurer l’employabilité de ses collaborateurs. Une approche qui permet de gagner en résilience face aux grandes transformations en cours.

Quel dirigeant avait prévu la crise sanitaire actuelle ? Dans le monde entier, la plupart des entreprises ont été prises de court par le caractère à la fois soudain et durable de la pandémie, les contraignant à s’adapter rapidement à un environnement économique et social en pleine recomposition. Pouvait-on anticiper un tel tsunami ? À y regarder de plus près, la crise de la Covid-19 ne fait qu’accélérer des transformations déjà à l’oeuvre. Le télétravail n’est pas apparu avec le coronavirus. Le numérique a introduit de nouveaux modes de management à distance et incite à dématérialiser la relation client. De son côté, la transition écologique rappelle de longue date l’urgence des enjeux de santé publique. Adoptée par un nombre croissant d’entreprises françaises depuis deux ou trois ans, le strategic workforce planning entend répondre à ces enjeux d’anticipation. Cette démarche consiste à aligner la stratégie business avec les besoins de transformation RH. Quelles sont mes compétences actuelles et comment les faire évoluer pour répondre à mes besoins de demain ? Une fois ce travail de cartographie réalisé et la trajectoire définie, il est possible de simuler différents scenarii économiques ou géopolitiques et de mesurer leurs impacts sur le capital humain. L’industrie agroalimentaire est particulièrement concernée par cette approche, selon Antoine Aubois, cofondateur d’Akoya Consulting, un cabinet de conseil en stratégie qui accompagne Danone, Pernod Ricard ou Moët Hennessy : « Le secteur est impacté par le concept d’usine 4.0 ou le développement des filières bio qui induisent de nouveaux process. Il doit également s’adapter aux changements climatiques en déplaçant, par exemple, une production plus au nord. »

Danone repense le futur du travail

Pour « repenser le futur du travail dans le monde avec la Covid-19 », Danone a ainsi présenté, cet été, son programme FutureSkills qui vise à maintenir l’employabilité de ses collaborateurs. « L’objectif est d’offrir à nos salariés qui en ont besoin la possibilité d’être formés, soit pour des emplois existants qui exigeront des compétences additionnelles à l’avenir, soit pour de nouveaux emplois amenés à se développer », explique le groupe dans un communiqué. Au-delà de la formation et de la reconversion, d’autres leviers peuvent être actionnés comme la mobilité interne, le recrutement voire le rachat d’une société pour acquérir les compétences clés de demain. Si le strategic workforce planning travaille sur le long terme, ce n’est toutefois pas un référentiel figé. En fonction des évolutions du marché, il doit pouvoir être revu régulièrement. En cela, un strategic workforce planning ne doit pas être confondu avec la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC), une obligation légale en France pour les entreprises qui emploient au moins 300 salariés. La GPEC n’a pas la dimension business, stratégique et dynamique du SWP. Son approche se fait au niveau du collaborateur. Il s’agit de lui donner de la visibilité sur les possibilités d’évolution et sur les parcours de formation associés. Comme dans bien d’autres process RH, l’intelligence artificielle s’est invitée dans des solutions innovantes comme celle de l’éditeur 365Talents. Les algorithmes d’IA vont aller détecter les compétences, mêmes cachées ou dormantes, des collaborateurs, puis faire le « matching » avec les opportunités à venir. « En revanche, la stratégie initiale et la définition des besoins relèvent bien de l’homme », rappelle Antoine Aubois. Nous voilà rassurés.

—— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2952)

Étude : 800 MILLIONS DE TRAVAILLEURS APPELÉS À ÉVOLUER

Dans une étude parue en juin, McKinsey dessine les contours du futur du travail. Selon le cabinet américain, un modèle hybride entre présentiel et travail à distance devrait émerger au cours des prochains 12 à 18 mois. Pour répondre à ce changement de paradigme, les entreprises devront faire évoluer leurs modèles managériaux, mais aussi investir dans des outils numériques de collaboration à distance et dans des programmes de formation à grande échelle. Cette révolution s’accompagne d’une accélération de l’automatisation d’un certain nombre de tâches. Selon McKinsey, 60 % des activités à l’échelle mondiale verront au moins 30 % de leur travail automatisé d’ici 2030. Environ 800 millions de travailleurs devront ainsi développer de nouvelles compétences, voire se reconvertir.

Avis d’expert : « UN STRATEGIC WORKFORCE PLANNING AIDE LA DRH À DÉFENDRE SES CHOIX »

Antoine Aubois, cofondateur d’Akoya Consulting

Quel est l’enjeu du strategic workforce planning ?
Antoine Aubois : Les entreprises conçoivent des plans stratégiques d’une durée de trois à cinq ans, mais elles occultent ou négligent souvent le volet humain. À quoi sert de s’équiper des meilleures machines du monde s’il n’y a pas d’opérateurs formés pour les faire fonctionner ? Un strategic workforce planning consiste à aligner cette stratégie business avec les enjeux RH. Il répond à la double question : de quelles compétences ai-je besoin pour tenir mes objectifs, et comment résorber les écarts avec les compétences existantes ? Différents leviers peuvent être actionnés pour tenir cette trajectoire, comme la mobilité interne, la formation, le recrutement ou les départs naturels avec l’évolution de la pyramide des âges. En posant des indicateurs de suivi, le strategic workforce planning permet de mesurer objectivement l’état d’avancement du programme de transformation RH. Une DRH peut ainsi défendre ses choix et justifier, chiffres à l’appui, le bien-fondé d’un programme de formation afin d’éviter une vague de départs. Un discours qui sera compris par la DAF.

Le SWP aide-t’il aussi à prendre des décisions à court terme ?
A. A. : Non, c’est tout l’inverse. Le strategic workforce Planning vise, au contraire, à donner de la hauteur de vue. Trop d’entreprises lancent, au moindre retournement de conjoncture, un plan de départs volontaires et, celui-ci à peine achevé, elles doivent recruter. Humainement mais aussi économiquement, cela n’a pas de sens. Les coûts d’un départ associés à ceux du recrutement et de la formation d’un remplaçant peuvent représenter l’équivalent de deux ans et demi de salaire sur un poste donné. Une entreprise peut, à un moment donné, avoir un effectif surnuméraire, mais plutôt que de procéder à des suppressions de postes, elle peut avoir intérêt à former sa population actuelle et à préparer l’avenir avec elle. Cela s’anticipe, un plan de reconversion prend du temps.

Quelle est la maturité du marché français sur ce sujet ?
A. A. : Avant, seules quelques entreprises pionnières dans l’industrie lourde faisaient appel au strategic workforce planning. Les acteurs de l’aéronautique ou de l’automobile doivent planifier sur le très long terme, et la pression sur les coûts y est importante. Aujourd’hui, d’autres entreprises s’y mettent progressivement, notamment quand leur modèle est remis en cause dans la banque, la pharmacie ou l’agroalimentaire.