Et si l’entretien annuel d’évaluation devenait (enfin) utile

Et si l’entretien annuel d’évaluation devenait (enfin) utile

Temps fort de la relation managériale, l’entretien d’évaluation prend cette année une importance renouvelée avec la crise. Quelques bonnes pratiques permettent d’en faire un moment d’échange véritablement productif.

À chaque fin d’année, le rituel de l’entretien d’évaluation se répète. À la fois attendu et redouté par les salariés comme par les managers, ce qui devrait être un moment fort de la relation managériale vire souvent à l’exercice de style stressant et sans intérêt. Seuls 15 % des salariés français estiment le dispositif très utile selon une étude de la start-up Elevo datant d’avril dernier.

L’expérience est jugée décevante par la majorité d’entre eux. Trop orienté performances et objectifs, ce moment d’échange passe souvent à côté de sa finalité qui est, rappelons-le, de faire le bilan de l’année écoulée, mais surtout de tracer une trajectoire de progression pour l’année à venir. L’occasion de discuter des besoins en formation ou d’évolution de poste.

De leur côté, un grand nombre de managers envisagent l’entretien annuel comme une corvée administrative de plus où il s’agit avant tout de remplir des cases sous la pression des RH. Les managers redoutent aussi que la discussion se transforme en foire d’empoigne ou en cahier de doléances.

Ce gâchis est d’autant plus dommageable que l’entretien annuel d’évaluation prend une importance particulière cette année. Alors que la sortie de crise, tout du moins économique, se dessine, les attentes n’ont jamais été aussi fortes.

Après avoir rongé leur frein de longs mois durant, les collaborateurs espèrent une reconnaissance de leurs efforts dans cette période éprouvante, au moins orale si ce n’est sous forme de prime ou de revalorisation salariale. Ils attendent aussi que l’entretien se place sous le signe de la bienveillance.

La crise a poussé certains employés à questionner l’utilité de leur travail et l’entretien peut être aussi l’occasion de répondre à leur quête de sens. « Le manager est dans un rôle de représentation de l’entreprise, estime Sophie Patanella, DRH d’Ignition Program, cabinet de recrutement de talents à forts potentiels. L’entretien lui permet de prendre de la hauteur de vue afin d’éclaircir certains points, rappeler le positionnement de la société. »

Un exercice imposé qui a ses règles

Bien mené, l’entretien annuel génère de nombreux bénéfices. Il peut créer un véritable coup de « boost » chez le collaborateur renforçant sa motivation et son engagement. Dans son « kit ultime des entretiens annuels », Elevo livre quelques bonnes pratiques. La start-up recommande tout d’abord à la DRH d’impliquer les managers dès le début de la campagne, en tenant compte de leurs avis sur la trame de l’entretien ou le type de feedback à privilégier. Deuxième conseil : demander aux collaborateurs de s’auto-évaluer. « En s’auto-évaluant, le collaborateur prend le temps de réfléchir sur l’année écoulée et ses aspirations futures, estime Elevo. Cette prise de recul lui permet d’engager le processus d’évaluation plus sereinement. Cette base permet au manager de bien comprendre les problématiques de son interlocuteur et de lui proposer une réponse personnalisée. »

L’entretien annuel doit, pour cela, constituer un moment d’échange de qualité. C’est, selon Elevo, un outil de management à part entière qui permet d’aligner les souhaits individuels sur les objectifs collectifs, de discerner les difficultés, de tracer des parcours de carrière.

Enfin, il convient de séparer l’évaluation de la rémunération. Alors que l’entretien est l’occasion pour le collaborateur d’émettre ses souhaits de promotion et d’augmentation, celles-ci sont, dans la plupart des entreprises, décidées avant. Ce qui ne peut générer que de la frustration.

Une possibilité consiste à inverser le calendrier et de prévoir deux temps d’échange pour ne pas « polluer » la discussion. La première entrevue couvre classiquement les performances du collaborateur tandis que la seconde évoque les sujets sensibles relatifs à la revalorisation salariale et aux promotions.

— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2977)

« LE FEEDBACK À 360° PERMET D’OBJECTIVER LE JUGEMENT DU MANAGER »

Sophie Patanella, DRH d’Ignition Program

Comment s’organise le déroulé d’un entretien ?
Sophie Patanella : Il n’y a pas de règle sur la répartition du temps. Le but est de faire en sorte que la discussion soit utile. La première partie de l’entretien va dresser un récapitulatif des douze derniers mois. Le collaborateur a-t-il répondu aux attentes en matière de performances ? A-t-il mobilisé les bonnes compétences pour réussir dans ses missions ? Un certain nombre de hard skills et de soft skills sont requises pour être en situation de succès à un poste donné.

Sur la seconde partie de l’entretien, il s’agit de se projeter vers les mois à venir. Et demain, que fait-on ? Les difficultés qui font qu’une personne ne « performe pas » peuvent avoir plusieurs origines. Le management, l’inadéquation au poste ou le contexte personnel entrent en ligne de compte. Quand un collaborateur arrive à un essoufflement dans son parcours, quel plan d’action mettre en place ? Cela peut passer par la formation, mais aussi par la mobilité interne.

L’entretien annuel est parfois critiqué, comment le faire évoluer ?
S. P. : Ce temps fort doit être conservé tout en prévoyant d’autres moments d’échange durant l’année pour ne pas faire enfler les points de crispation et les non-dits. Ces points d’étape sont essentiels pour débloquer les situations difficiles. Le manager doit pouvoir anticiper en amont les sujets sensibles pour qu’ils n’explosent pas au moment de l’évaluation.

Autre outil, le feedback à 360° permet d’objectiver le jugement du manager. Ce dernier vient avec ses croyances, son histoire. Il peut projeter des biais, conscients ou inconscients,ou passer à côté de certaines informations. Pour le collaborateur, le feedback à 360° est aussi la garantie d’une évaluation plus juste car portée par plusieurs regards. Enfin, l’entraide entre managers est une autre piste à explorer. L’échange entre pairs sur les pratiques managériales, le partage des retours d’expérience permettent d’aborder plus sereinement l’entretien annuel qui peut être vécu comme un moment de tension particulièrement redouté.

Comment traiter les demandes des collaborateurs ?
S. P. : Le manager doit officialiser, sans jugement ni censure, les souhaits de revalorisation salariale ou de promotion émis par le collaborateur. Il s’agit ensuite de traiter ces demandes au regard de la réalité économique de l’entreprise et de la conjoncture. En amont des entretiens, chaque directeur de service fait une première proposition d’allocation d’augmentations en comité de direction. Puis, en fonction des demandes des collaborateurs, le comité de direction se réunit à nouveau pour arbitrer. Opposer un refus immédiat au salarié générerait une forte frustration. Il faut faire de la pédagogie et expliquer pourquoi l’augmentation est moindre que ce qu’il envisageait.

Étude : LA CRISE SANITAIRE RENFORCE LES EXIGENCES DES COLLABORATEURS

Selon une étude du site Welcome to the Jungle, publiée en décembre 2020, 31 % des salariés interrogés ont, avec le contexte de crise sanitaire, plus d’attentes à l’égard de l’entretien annuel que lors des années précédentes. Ils attendent de leur management une capacité de projection dans l’avenir (41 %), de la sincérité et de l’authenticité dans les échanges (22 %), une qualité d’écoute et d’empathie (19 %) et des feedbacks de qualité et pertinents (15 %). Avec la crise, la qualité de vie au travail (QVT) s’invite au programme et 38 % des répondants se disent plus à l’aise cette année pour aborder ce sujet lors de l’entretien annuel. Avec la généralisation du télétravail, l’invasion de la vie professionnelle dans la sphère personnelle, l’isolement et le manque de lien social ou les troubles musculosquelettiques dus à un poste de travail mal adapté font partie des sujets de préoccupation.