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Etes-vous prêts à la transparence sur les salaires ?
Une directive européenne vise prochainement à mettre fin à l’opacité des politiques de rémunération et donc aux discriminations salariales. Un véritable changement culturel dans un pays qui, comme la France, fait du salaire le tabou ultime.
Alors que le salaire est un sujet particulièrement tabou en France, une nouvelle directive européenne sur la transparence des rémunérations devrait créer un vrai électrochoc culturel. Adopté il y a un an par le Parlement européen, le texte devra être transposé dans le droit français au plus tard le 7 juin 2026. S’agissant d’une date butoir, la France a la possibilité d’adopter cette réglementation plus tôt, peut-être dès la mi-2025. Il s’appliquera progressivement aux entreprises privées et aux organisations publiques de plus de 100 salariés. Cette directive aura de nombreuses incidences. Un salarié en poste pourra demander quelle est la rémunération moyenne associée à son poste et quels sont les critères pris en compte dans l’octroi des augmentations.
L’égalité femmes-hommes, une valeur fondamentale
Un candidat à l’embauche sera, quant à lui, en droit de demander la fourchette de salaires associée au poste pour lequel il postule. Par ailleurs, le recruteur ne pourra plus lui demander quelle est sa rémunération actuelle, s’il est en poste, ou antérieure dans le cas d’un demandeur d’emploi. Enfin, les entreprises publieront régulièrement un rapport sur les écarts de rémunération entre femmes et hommes, par catégorie de salariés. En cas de différence supérieure à 5 %, l’employeur devra, avec les instances représentatives du personnel, trouver des solutions pour la corriger. Si un salarié s’estime victime de discrimination salariale, il reviendra à l’employeur de démontrer que sa rémunération n’est pas fondée sur des critères discriminatoires et non plus l’inverse. En cas de manquement avéré, le salarié lésé pourra recouvrer intégralement les arriérés de salaire qui lui étaient dus. En posant ces principes d’équité salariale, la directive va un cran plus loin que l’index égalité femmeshommes. Si, depuis 1957 et le traité de Rome, l’Union européenne fait de l’égalité femmes-hommes une valeur fondamentale, les discriminations salariales résistent au temps. En 2022, les femmes en Europe étaient toujours payées en moyenne 12,7 % de moins que leurs collègues masculins, selon Eurostat.
Un avantage concurrentiel sur le marché de l’emploi
« De nombreuses études ont démontré que, pour un poste similaire, une femme exigera généralement un salaire moindre qu’un homme, fait observer Laura Grouberman, directrice de l’activité Work, Rewards & Careers au cabinet de conseil WTW France. Cela introduit un biais dès l’embauche, creusant ainsi l’écart salarial. »
Selon elle, les entreprises pionnières qui ont une démarche proactive de transparence et d’équité des rémunérations bénéficieront d’un véritable avantage concurrentiel sur le marché de l’emploi. « Cela constituera un levier d’attractivité et de rétention des talents. Cette démarche s’inscrit généralement dans un mouvement plus global en faveur de la diversité et de l’inclusion et d’une stratégie RSE. » Alors que 2023 a été l’année de la prise de connaissance de la directive, 2024 devrait être, d’après elle, celle de la mobilisation générale. Le chemin vers l’égalité salariale reste toutefois long et ardu : « La mise en conformité nécessite plusieurs mois, voire plusieurs années. » À ses yeux, une des principales difficultés est d’arriver à évaluer la valeur d’un poste, sa contribution à l’entreprise, afin de pouvoir justifier les différences de salaires sur des facteurs objectifs : « Les écarts de salaires seront acceptés s’ils sont objectivement expliqués, par un grade ou une performance par exemple. » En revanche, des éléments non objectifs comme le genre, l’origine ethnique ou l’âge ne peuvent, en aucune façon, expliquer des écarts de rémunération. « Certaines entreprises peuvent aller au-delà des exigences réglementaires et exposer leurs grilles de rémunération. » Dans leur communication avec les salariés, les entreprises devront, selon Laura Grouberman, s’appuyer sur le manager de proximité, premier canal de contact. « C’est lui qui devra expliquer à son collaborateur comment sa rémunération est construite et où il se positionne par rapport à ses pairs. » Par une mince affaire.
— Xavier BISEUL (Tribune Verte 3039)
Avis d’experte : « Calculer des écarts de rémunération n'est pas simple »
Laura Grouberman, directrice de l’activité Work, Rewards & Careers pour WTW France.
Quels sont apports de la directive européenne sur la transparence des rémunérations ?
Laura Grouberman : Pour réduire les inégalités salariales entre les femmes et les hommes, les entreprises devront calculer et publier les écarts de rémunérations, et afficher les fourchettes de rémunération sur leurs offres d’emploi. Un salarié aura la possibilité de demander quelle est la rémunération moyenne pour les hommes et femmes associée à son poste et ainsi se positionner par rapport à ses pairs. En externe, les entreprises devront indiquer aux candidats à l’embauche la fourchette de rémunérations pour le poste sollicité. La directive inverse la charge de la preuve. Aujourd’hui, c’est au salarié de prouver qu’il est discriminé. Demain, ce sera l’inverse : l’employeur devra démontrer qu’il ne pratique pas de discrimination salariale. Un recruteur ne pourra pas non plus demander à un candidat son historique salarial. Il devra lui faire une proposition sur la base des niveaux de rémunération actuellement pratiqués par son entreprise.
Pourquoi les entreprises n’affichent-elles pas déjà plus de transparence salariale ?
L. G. : Parmi les freins fréquemment évoqués, elles redoutent que cette transparence ne génère des tensions en interne. À tort, puisque c’est plutôt l’inverse qui se produit. La transparence permet de dissiper des spéculations, certains salariés s’estimant injustement lésés. Ensuite, les entreprises avancent que leur politique actuelle de rémunération n’est pas encore prête. La conformité à la directive représente, de fait, un chantier technique complexe. Calculer des écarts de rémunération n’est pas simple, car il faut tenir compte de la part variable, de l’intéressement, de la participation, ainsi que des avantages sociaux. Par ailleurs, les groupes doivent souvent consolider des données réparties sur plusieurs sites. Les PME, quant à elles, ne sont pas toujours outillées. Il faut ensuite être en capacité d’analyser ces données et de les restituer aux collaborateurs par le biais, par exemple, d’un portail RH ou d’un bilan social individuel. Un dernier frein cité dans l’étude WTW concerne l’absence de soutien de la direction. Étant donné qu’il s’agit d’un changement culturel, il faut qu’il soit impulsé au plus haut niveau de l’entreprise. Dans neuf cas sur dix, ce sujet est suivi par le comité des rémunérations, qui dépend du conseil d’administration.
Étude : Les entreprises françaises plutôt partantes
Selon une enquête de WTW France sur la transparence des rémunérations, trois entreprises sur cinq en France ont déjà commencé à communiquer volontairement des données sur les écarts de salaires entre les femmes et les hommes au sein de leur organisation, ou envisagent de le faire. En matière de conformité à la directive sur la transparence des rémunérations, 43 % des entreprises prévoient de suivre les dispositions et le calendrier de l’Union européenne. Seuls 4 % prévoient d’anticiper le mouvement en envisageant d’indiquer aux candidats la fourchette de rémunération pour le poste concerné, indépendamment des exigences réglementaires.