Guillaume Cairou, PDG de Didaxis, président de la CCI des Yvelines « Nous nous orientons vers des contrats de mission »

Guillaume Cairou, PDG de Didaxis, président de la CCI des Yvelines « Nous nous orientons vers des contrats de mission »

Le monde du travail évolue. Le CDI tend à laisser davantage la place à de nouvelles formes d’emploi, exercées de manière plus indépendante. Guillaume Cairou décrypte pour nous les grandes tendances sur ce sujet.

Selon l’Insee, le nombre de créations d’entreprises en France continue à progresser. Il a augmenté de 17 % en 2021, porté notamment par les immatriculations d’entreprises individuelles sous le régime du microentrepreneur1. Qu’est-ce qui explique cet engouement pour les microentreprises et de manière plus générale pour les formes d’emploi indépendantes ?
Guillaume Cairou : Pour expliquer ce phénomène, j’aime bien repartir du siècle dernier. Nous étions une terre d’indépendants avec des artisans, des agriculteurs… Nous retournons d’où nous venons. L’économie est un cycle en perpétuel  renouvellement. On tend vers de nouvelles formes d’indépendance. D’ici 2030, on va doubler le nombre d’entrepreneurs. Le graal du CDI est en plein déclin. L’engouement pour les formes de travail indépendant s’est accru avec la crise, l’explosion du télétravail. Les Français ont besoin de retrouver un rythme plus harmonieux entre vies personnelle et professionnelle. Ils ont besoin de sortir du cadre rigide du CDI qui oblige un nombre d’heures en présentiel. Nous nous orientons ainsi vers des contrats de mission pour gérer son temps de travail. S’il y a eu un essor du télétravail (nous devrions atteindre bientôt son apogée), nous n’allons pas vers une société du télétravail, mais vers une société hydride qui correspond aux besoins des Français en matière d’autonomie. Cette hybridation du travail implique en revanche de développer des infrastructures.

Est-ce que ce phénomène de recherche d’indépendance est aussi présent chez les jeunes ?
G.C. : Les jeunes actifs ont l’esprit d’indépendance. Il y a toujours eu une proportion élevée de jeunes diplômés qui voulaient créer leur entreprise. Mais aujourd’hui, ils sont près d’un jeune sur deux à souhaiter créer leur entreprise2 (42,5 % des 18-30 ans en 2019 et 47 % en 2022). En quinze ans, l’âge moyen des créateurs d’entreprises individuelles a par ailleurs baissé. Il est aujourd’hui de 36 ans.

Outre les besoins d’autonomie, de rééquilibrage entre vies professionnelle et personnelle, qu’est-ce qui pousse les personnes à exercer leur emploi de manière plus indépendante ?
G.C. : L’augmentation des travailleurs indépendants est portée par trois facteurs. Tout d’abord, cela s’explique par l’explosion des microentreprises pour lesquelles tout est simplifié (formalités, régime…). En deuxième point, il y a le développement des espaces de travail hybride : les tiers-lieux qui incluent le coworking. Le département des Yvelines compte 262 communes. Et même dans les petites communes, il existe aujourd’hui des espaces de ce type. Troisièmement, il y a le développement des plateformes de travail indépendant. De plus en plus d’entreprises rencontrent des tensions sur le marché du recrutement, sur des métiers dans la comptabilité, la finance, l’informatique… Elles peuvent avoir recours à des travailleurs indépendants lorsqu’elles ne trouvent pas les ressources par ailleurs. Dans l’hôtellerie-restauration, il y a par exemple la plateforme Brigad qui met en relation les freelances avec leurs clients. De plus en plus de plateformes de ce type se forment, jusqu’à des coopératives d’activités et d’emploi.

Justement, pouvez-vous nous présenter les différents dispositifs qui existent pour exercer son métier sous une forme indépendante ?
G.C. : Dans les « purs » indépendants, non-salariés, il y a les microentrepreneurs et les entrepreneurs. Il y a sinon le portage salarial, qui se situe entre les statuts de salariés et d’indépendants. Ce dispositif explose de 25 % tous les ans avec de nouvelles plateformes de portage salarial qui naissent. Les travailleurs, qui sont en majorité des freelances, ont un contrat de salarié dans le cadre d’un portage.

Les coopératives d’activités et d’emploi (CAE) représentent un autre dispositif, proche d’un « entrepreneur salarié », où le travailleur a une fiche de paie. Les CAE peinent à se frayer un chemin, mais elles ont une place et notamment dans les métiers plutôt manuels ou techniques.

De manière générale, les CAE sont davantage développées dans les territoires ruraux, les portages en ville et les microentreprises dans les quartiers prioritaires. Le vrai challenge est de pouvoir accompagner les porteurs de projet à trouver le meilleur statut pour trouver l’activité qui leur convienne.

Comment voyez-vous l’évolution du monde du travail dans les années à venir ?
G.C. : D’ici 2030, 90 % de la population active va devoir soit se reconvertir, soit se former et adapter ses compétences aux mutations économiques. Des emplois vont être détruits, mais d’autres vont être créés de manière plus importante, néanmoins sous une forme différente.

Dans certains pays d’Europe, il existe par exemple des catégories d’entreprises spécialisées dans le leasing, afin de louer sa propre entreprise. En effet, un des premiers freins à la création d’entreprise sont les contingences administratives. Pour lutter contre la bureaucratie, le leasing d’entreprises propose une location clé en main pour une durée déterminée. Cela évite de radier son activité.

En parallèle, l’entreprise de demain va intégrer des innovations, du deep tech, de l’intelligence artificielle, de la digitalisation… Les jeunes et les moins jeunes vont travailler de manière de plus en plus indépendante. Les métiers de la transition énergétique et écologique vont créer de nouveaux emplois dans l’habitat, l’alimentation, la production. Les métiers liés à la dépendance (ex : maintien à domicile) vont également se développer pour contribuer à une société plus inclusive. Les métiers d’hier sont également autant de pistes pour les emplois de demain ! Par exemple, dans les Yvelines, le cheptel équin est très important, or les maréchaux-ferrants manquent. D’ici 2030, il y a une véritable opportunité pour exercer son activité, faire une reconversion dans un domaine en pénurie.

— Caroline EVEN (Tribune Verte 2994)
(1) Insee Première, n° 1892, février 2022.
(2) Sondages OpinionWay pour France Active.

Tiers-lieu

« Un tiers-lieu est un endroit qui hybride des activités pour répondre à un besoin du territoire. Il existe autant de définitions que de tiers-lieux ! Espaces de coworking, friches culturelles, fablabs, tiers-lieux nourriciers… Ils ont en commun de réunir un collectif citoyen engagé, ouvert et favorisant la coopération », résume France Tiers-lieux. Selon l’association nationale, en 2021, la France comptait plus de 2 500 tiers-lieux. Ils devraient être entre 3 000 et 3 500 fin 2022.

3 millions

« En 2019, la France métropolitaine compte plus de 3 millions d’indépendants. Les activités qu’ils exercent sont très variées, ainsi que le revenu qu’ils en retirent. Ils sont exploitants agricoles, électriciens, restaurateurs, coiffeurs, pharmaciens, avocats ou encore artistes […]. Dans l’ensemble, un peu plus d’un indépendant sur dix gagne moins de la moitié du Smic annuel et vit sous le seuil de pauvreté. » Source : Insee Première, n° 1884, janvier 2022.