La crise sanitaire complique encore l’insertion des travailleurs handicapés

La crise sanitaire complique encore l’insertion des travailleurs handicapés

La pandémie contribue à renforcer le sentiment d’isolement des personnes en situation de handicap. En dépit de nombreux textes de loi, leur entrée dans l’emploi est déjà très compliquée.

Télétravail rime difficilement avec handicap. Si la pratique permet à certaines personnes en situation de handicap moteur de renouer avec le travail, la crise de la Covid-19 risque d’accentuer le sentiment d’exclusion pour celles chez qui le télétravail est subi.

Une incitation salutaire

Selon un récent sondage de l’Ifop pour l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées), 34 % des sondés estiment que la crise a contribué à les isoler davantage, contre 49 % qui ne ressentent aucun impact. À cela s’ajoutent les craintes pour l’avenir. En effet, 47 % se disent inquiets à l’idée de perdre leur emploi dans les mois à venir.

Les trois quarts des personnes interrogées saluent, en revanche, l’incitation à l’embauche mise en place par le Gouvernement qui prévoit l’octroi une prime de 4 000 euros à destination des entreprises recrutant une personne en situation de handicap. Ce dispositif, qui court jusqu’au 28 février 2021, concerne tout CDI ou CDD de trois mois et plus, pour un salaire jusqu’à deux fois le Smic. Cent millions d’euros ont été mobilisés à cet effet dans le cadre du plan de relance. Cette crise sanitaire intervient alors que l’insertion professionnelle des personnes handicapées stagne depuis des années. Selon les chiffres 2019 de l’Agefiph, le taux de chômage (18 %) était deux fois supérieur à l’ensemble de la population française.

Avec un taux d’emploi de 3,8 %, les entreprises sont très loin de l’obligation légale de 6 % qui concerne les sociétés et les établissements publics d’au moins vingt salariés. En revanche, si l’on en croit une étude réalisée en 2013 par l’Agefiph au niveau du réseau Ariac, l’agroalimentaire fait figure de bon élève avec un taux moyen de 5,47 %.

Lever les freins à l’embauche

Après de multiples autres textes législatifs, la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018 entend changer la donne en réformant cette obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH). Depuis le 1er janvier de cette année, elle s’étend désormais aux sociétés de moins de vingt salariés. Les travailleurs handicapés bénéficient, par ailleurs, d’une majoration de leur compte personnel de formation (CPF). Enfin, les entreprises employant 250 salariés ou plus doivent désigner un référent handicap chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les personnes en situation de handicap. Ce référent doit aussi sensibiliser en interne sur les situations de handicap.

« Une semaine du handicap n’est pas suffisante, estime Nathalie Deunier, conseillère emploi-formation à l’antenne Auvergne de l’APECITA. Les entreprises qui y participent sont déjà mobilisées sur le sujet. L’effort doit être maintenu tout au long de l’année. Il faut, dans un système d’entonnoir, commencer à sensibiliser la direction, le management, puis les collaborateurs. » Le principal frein à l’embauche tient, en effet, à une méconnaissance du handicap souvent empreinte de clichés et de préjugés. Au-delà de la canne blanche et du fauteuil roulant, la grande majorité des handicaps sont invisibles. Parfois, un léger aménagement du poste de travail, comme un siège adapté ou un écran plus grand, suffit. Le recrutement d’un travailleur handicapé constitue, en revanche, une véritable force pour l’entreprise. Devant davantage s’affirmer dans son emploi, la personne recrutée a généralement de la motivation à revendre. De son côté, l’entreprise renforce sa marque employeur par son engagement en faveur d’une société plus inclusive.

—— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2951)

Étude : 71 % DES DEMANDEURS D’EMPLOI HANDICAPÉS PESSIMISTES POUR L’AVENIR

Publiée fin septembre, la troisième vague de l’enquête menée par l’Agefiph et l’Ifop montre une dégradation de l’état psychologique des publics handicapés. 69 % des personnes interrogées sont sujettes au stress, contre 41 % pour la population française dans son ensemble, et 54 % vivent des épisodes de dépression, contre 11 % des Français de manière générale. Arrive en tête des sujets d’inquiétude le risque de dégradation des conditions de travail (63 %). En ce qui concerne les demandeurs d’emploi, 71 % se disent pessimistes à la possibilité de trouver un emploi.

Avis d’expert : « LA GRANDE MAJORITÉ DES HANDICAPS SONT INVISIBLES »

Nathalie Deunier, conseillère emploi-formation à l’antenne Auvergne de l’APECITA et référente handicap à l’APECITA

Quels sont les progrès réalisés en faveur de l’insertion des personnes handicapées ?
Nathalie Deunier : La nomination d’un référent, introduite par la loi du 5 septembre 2018, va dans le bon sens. Elle favorise la discussion autour du handicap au sein des entreprises. Cette disposition ne concerne toutefois que les sociétés de plus de 250 salariés. Elle gagnerait à être étendue aux plus petites entreprises. L’un des freins à l’insertion professionnelle a longtemps été la moindre qualification des travailleurs handicapés. Les choses bougent, là aussi, dans le bon sens. Depuis une dizaine d’années, les universités et les grandes écoles sont tenues de mettre en place un service handicap. L’accès aux études supérieures est ainsi facilité, mais cela bloque malheureusement toujours au niveau de l’insertion professionnelle.

Sur quels axes faut-il encore travailler ?
N. D. : Il y a un travail à faire sur la représentation du handicap. On pense immédiatement « canne blanche » et « fauteuil roulant », alors que la grande majorité des handicaps sont invisibles. Une maladie invalidante peut ne pas se matérialiser par des signes extérieurs. Pourtant, elle nécessite un aménagement du poste de travail et/ou des horaires. Se pose aussi la question de la reconnaissance du handicap. Si la personne est en poste, elle va se demander ce qu’elle a à y gagner. Elle connaît son handicap et se « débrouille » pour qu’il ne soit pas visible. Une personne qui ne peut plus porter de charges lourdes à cause de graves problèmes de dos se reconvertira sans penser que sa situation relève du handicap. Si la personne handicapée se présente en entretien d’embauche, elle ne prendra pas le risque de le dire. En revanche, s’il s’agit d’un handicap moteur, elle n’aura pas de difficulté à le mentionner sur un CV. Derrière cette appréhension, il y a le risque de stigmatisation, la crainte que l’employeur vous voit d’un autre oeil. Le handicap est trop souvent assimilé à des contraintes.

Comment aménager l’espace de travail ?
N. D. : Souvent, il s’agit d’aménagements légers, comme l’acquisition d’un siège adapté, d’une souris ergonomique, d’un écran de grande taille ou d’un logiciel d’aide à la rédaction pour les personnes atteintes de dyslexie ou de dysgraphie. Parfois, il faut prévoir un local où la personne peut s’isoler en journée pour faire ses soins ou seulement placer certains objets à la bonne hauteur. Généralement, les personnes ont la solution. Il suffit de les écouter. L’Agefiph contribue au financement de l’aménagement du poste de travail. Des investissements plus lourds sont à prévoir quand il s’agit de faciliter l’accessibilité des locaux ou la circulation dans les bureaux des personnes à mobilité réduite. Quand un accident survient, rendant un collaborateur handicapé, l’entreprise est généralement mal préparée. Il faut dédramatiser et trouver des solutions concrètes d’aménagement. Un médecin peut notamment poser le cadre en préconisant un temps partiel thérapeutique.