La crise s'éternise, comment remotiver ses équipes ?

La crise s'éternise, comment remotiver ses équipes ?

Appelée à durer encore de longs mois, la crise sanitaire pèse sur le moral des collaborateurs et la généralisation du télétravail distend encore plus le lien social. Comment, dans ce contexte anxiogène, maintenir la cohésion du collectif ? Les conseils d’une coach.

Le début d’année ressemble étrangement à la fin de la précédente. Entre confinement et couvre-feu, la crise sanitaire s’éternise et les signes d’espoir sont régulièrement douchés par l’amoncellement de mauvaises nouvelles. Cette période anxiogène pèse sur le moral des Français comme le montre un récent sondage d’Odoxa (lire encadré). Leur principal sujet d’angoisse porte sur l’incertitude autour de la fin de la pandémie, plus que de la peur du coronavirus elle-même.

La crise sanitaire se double d’une crise économique et les salariés se montrent aussi inquiets pour leur avenir professionnel. La généralisation du télétravail ne leur permet même pas de s’appuyer sur la force du collectif pour passer ce cap difficile. Dans ce contexte morose, les entreprises doivent adopter un certain nombre de bonnes pratiques pour remotiver leurs équipes. « Pendant un an, les entreprises, petites ou grandes, ont fonctionné en mode rustine, observe Delphine Bertrand, coach professionnelle. La crise appelant à durer, elles doivent mettre en place de nouvelles organisations plus résilientes leur permettant de traverser n’importe quelle période de turbulence. Nous étions déjà à la fin d’un système de management, la pandémie n’a fait que la précipiter. »

La généralisation du télétravail a, selon elle, individualisé la relation au travail mettant à mal la cohésion d’équipe. Elle observe une fluctuation de la motivation avec des cas extrêmes de surengagement ou de désengagement. « Au  détriment de sa vie familiale, un employé se sent obligé de répondre à un e-mail reçu à 22 h sans que son manager ou la culture d’entreprise ne l’y oblige. À l’inverse, des collaborateurs se sentent désoeuvrés, abandonnés de leur management. Le lien social se distend. Ils ne se reconnaissent plus dans la culture d’entreprise jusqu’alors enrichie par les échanges informels. »

L’occasion de revoir les modes de management

La consultante conseille de maintenir, dans la mesure du possible, au moins un jour de présentiel par semaine. Au-delà, elle préconise de répondre à cette quête de sens et de reconnaissance en rappelant les valeurs et les missions de l’entreprise. Il convient également, selon elle, de libérer la parole (lire interview ci-dessous) pour notamment prévenir les risques psychosociaux (RPS).

À ses yeux, la crise est surtout l’occasion de revisiter les fondamentaux du management et de réfléchir à de nouvelles organisations du travail faisant appel à l’intelligence collective. Cela suppose, pour Delphine Bertrand, de revoir radicalement la posture managériale. « Le chef, de type superman ou robot, qui ne ploie jamais dans la tempête et ne montre pas ses émotions, c’est fini. On a longtemps fait croire aux managers qu’ils devaient avoir réponse à tout. »

La période plaide aussi pour rompre avec le management par objectifs. « Comme ils ne peuvent plus vérifier en direct, certains managers exercent un contrôle accru et assomment leurs équipes de demandes de reporting. Les collaborateurs se sentent infantilisés. » Le manager nouvelle génération doit apprendre à faire confiance pour accorder davantage d’autonomie à ses équipes.

Ce manager coach est dans une logique de coconstruction. « Par son écoute active, il réoriente son équipe, sans accaparer la parole. Cette démarche de coconstruction permet de trouver ensemble les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs fixés. L’intelligence collective est supérieure à la somme des intelligences qui composent un groupe. Cela demande une forme d’humilité de la part du manager. Il n’existe pas de solution unique et il doit accepter de tâtonner. » Ce changement d’attitude suppose de former les managers, voire les collaborateurs, à des compétences comportementales essentielles comme la confiance en soi, la capacité à gérer le stress et les conflits. Des soft skills que de plus en plus de DRH prennent en compte dans leurs critères de recrutement. À compétences techniques ou organisationnelles égales, elles font toute la différence entre deux candidats.

—— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2955)

RISQUES DE DÉPRESSION : LES SIGNAUX AU ROUGE

Selon un sondage du cabinet Odoxa réalisé début décembre, la crise sanitaire rend 63 % des actifs anxieux pour leur situation professionnelle. Les plus angoissés sont bien sûr ceux qui ont perdu leur emploi puis les salariés arrêtés ou en activité partielle. En matière d’âge, les catégories des 18-24 ans et des 25-35 ans se montrent les plus anxieux (70 % et 65 %). La situation professionnelle des jeunes est, en effet, généralement plus précaire (CDD, intérim) que leurs aînés. De façon générale, l’incertitude sur la fin de la pandémie (46 %), le manque de relations sociales (46 %) et la peur du virus (37 %) sont les principaux sujets d’inquiétude des français.

Avis d’expert : « UN MANAGER DOIT APPRIVOISER SES ÉMOTIONS ET CELLES DES AUTRES »

Delphine Bertrand, consultante, formatrice, coach, dirigeante d’Objectif Harmonie

Comment remotiver les collaborateurs dans ce contexte de crise ?
Delphine Bertrand : Il faut commencer par donner du sens en rappelant quelles sont les valeurs de l’entreprise, sa raison d’être, sa vision, ses ambitions. Aux managers ensuite de décliner ces missions au sein de leurs équipes. Chaque collaborateur doit connaître précisément son rôle, son périmètre, la finalité de son travail. Le sentiment d’utilité est essentiel. Trop d’employés se sentent considérés comme des passe-plats interchangeables. Il convient également de les rassurer sur la pérennité économique de leurs postes.

Comment libérer la parole ?
D. B. : Une fois ce travail de réassurance effectué, le manager doit instituer une réunion d’équipe une fois par semaine, à horaire fixe, pour échanger sur d’autres sujets que les résultats. Il peut aussi imposer un rituel au début des réunions de travail. Au cours d’un tour de table, chacun exprime son ressenti du jour. Cette routine permet de dessiner une sorte de météo intérieure. Selon les besoins, le manager tient aussi des points individuels. Un manager doit se former à l’intelligence émotionnelle pour apprivoiser ses émotions et celles des autres, reconnaître le collaborateur en tant que personne avec ses difficultés propres. Un collaborateur va, par exemple, manifester de la colère car il ressent un sentiment d’injustice ou ne s’estime pas respecté. En interprétant ce ressenti, le manager pourra plus facilement désamorcer le problème.

La bienveillance, ce n’est pas la complaisance. S’apitoyer sur le sort d’un collaborateur ne va pas l’aider. Sans se transformer en psy, un cadre peut détecter des cas de détresse personnels et orienter les personnes affectées vers les RH, la médecine du travail, l’assistante sociale ou le numéro vert d’une cellule d’écoute.

Comment maintenir ou recréer le lien social ?
D. B. : Certaines entreprises «profitent» de cette période de flottement pour former les collaborateurs. J’ai vu l’une d’elles proposer une formation aux gestes de premiers secours. Cela a ressoudé l’équipe. On peut aussi former aux nouveaux outils digitaux comme Zoom ou Klaxoon. Il est aussi possible de concevoir un guide des bonnes pratiques de la collaboration à distance en impliquant tous les membres d’une équipe. Le manager sera ensuite obligé de les suivre.