La hausse du télétravail va-t-elle perdurer ?
Le télétravail a fait un bond en France, avec la crise sanitaire. Cette tendance va-t-elle se poursuivre ? Explications de Frantz Gault de la société Neo-Nomade, cabinet d’expertise auprès des employeurs.
Où en était la France en matière de télétravail avant la crise ?
Frantz Gault : En 2019, 23 % de la population française pratiquaient le télétravail, selon l’institut Eurostat, dans la moyenne haute européenne. Toutefois, parmi ces 23 %, seul un tiers le pratiquait régulièrement (ex : une ou deux fois par semaine), tandis que le reste ne le pratiquait qu’occasionnellement (ex : une ou deux fois par mois). Il restait donc du chemin à faire, d’autant que le Gouvernement estime qu’environ 60 % des emplois sont télétravaillables.
Durant la crise sanitaire, le télétravail s’est imposé dans les entreprises qui le pouvaient. Comment les entreprises l’ontelles vécu ?
F. G. : Le télétravail s’est imposé avec une facilité déconcertante. Il a parfois fallu équiper les salariés en terminaux mobiles au pas de courses ; mais pour le reste, l’activité s’est poursuivie à distance sans perturbations majeures, les résultats étaient aux rendez-vous. Tous les freins qui étaient naguère invoqués - « ce n’est pas dans notre culture », « on a besoin de se voir pour travailler », etc. - ont ainsi sauté en l’espace de quelques semaines ! Sur la durée, toutefois, est apparue une difficulté des entreprises à adopter les bons réflexes du digital, ce qui a augmenté le risque de surmenage. Il a également été constaté, pour environ 20 % des télétravailleurs confinés, une détresse liée au confinement, que ce soit à cause de l’isolement ou au contraire de la promiscuité familiale.
Et demain ? Cette hausse du télétravail va-t-elle perdurer ?
F. G. : Oui, tout à fait, il n’y aura pas de retour à la situation d’avant. Cela ne veut cependant pas dire que le télétravail va se poursuivre avec la même intensité qu’en 2020, on se dirige plutôt vers un nouvel équilibre. Dans de nombreuses entreprises, là où il y avait « un peu » de télétravail avant, on s’oriente désormais vers du télétravail à mi-temps. Dans les entreprises qui étaient plus matures avant la crise, on prend désormais la voie d’un télétravail intensifié et adossé à des stratégies de flexibilité immobilière (flex-office, coworking…). Enfin, il reste bien sûr quelques irréductibles employeurs enjoignant la fin du télétravail, mais cela risque de les mettre en difficulté en matière d’attractivité et de rétention, face à un marché de l’emploi où le télétravail est désormais démocratisé.
Les managers et les salariés sont-ils prêts à l’accepter ?
F. G. : Les salariés, oui, en très grande majorité, à l’exception des 20 % que j’évoquais plus haut et qui ont eu une mauvaise expérience du confinement. Côté managers, c’est plus compliqué…
Quels changements cela implique-t-il dans le management ?
F. G. : L’introduction de la distance implique une évolution des postures et des compétences managériales, notamment sur le volet sociotechnique : les managers doivent désormais maîtriser le volet social-digital, éviter de transposer les habitudes du bureau en mode virtuel, gérer la connaissance de façon plus écrite et plus asynchrone… Et plus en profondeur, il faut lever un certain nombre de freins psychosociaux qui persistent. Aller au bureau est en effet un rituel qui, pour certains, ne tient pas à des enjeux opérationnels, et qui relève plutôt d’un jeu de rôles social. Cathédrale pour certains, phalanstère pour d’autres, le bureau joue un rôle psychologique dans la définition que les individus se donnent d’eux-mêmes, en particulier chez les managers ! Il faut donc changer cela pour que le télétravail soit pleinement accepté dans les organisations.
Recrute-t-on de façon différente un salarié en télétravail ?
F. G. : Pas particulièrement si le télétravail est pratiqué à temps partiel. Au passage, c’est ainsi que fonctionne le télétravail depuis trente ans ! Il faut en revanche faire évoluer les méthodes de recrutement quand il s’agit d’un télétravail à temps plein. Les candidats doivent alors avoir le goût du social-digital, avoir l’autonomie nécessaire pour s’autodiscipliner, et avoir un domicile qui se prête au télétravail à temps plein. Une astuce sur ce dernier point : il est recommandé aux employeurs de proposer quelques journées par semaine de télétravail dans un espace de coworking !
—— Propos recueillis par Emmanuelle THOMAS (Tribune Verte 2967)
NEO-NOMADE
Neo-Nomade est une société fondée en 2010 avec une double spécialisation sur le sujet du télétravail : cabinet d’expertise auprès des employeurs, Neo-Nomade est aussi une start-up facilitant l’accès à plus de 1 500 espaces de coworking en France