L’agriculture face à la crise : Visioconférence et télétravail font partie du quotidien

L’agriculture face à la crise : Visioconférence et télétravail font partie du quotidien

Dans le contexte de Covid-19, les entreprises agricoles et agroalimentaires se sont adaptées. Elles ont donc mis en place de nouvelles méthodes de travail comme la visioconférence, un bon outil mais qui a ses limites d’après certains dirigeants. Cette situation inédite a également été l’occasion pour de nombreuses entreprises de tester le télétravail, et ce fonctionnement a été approuvé ! Il fera certainement partie des prochaines habitudes de travail dans les entreprises.

Jean-François Daucourt, directeur général des Pâtissiers de Touraine
UN DON DE 2 000 ÉQUIPEMENTS DE PROTECTION

« La priorité a d’abord été d’assurer la sécurité du personnel, puis de poursuivre l’activité », souligne Jean-François Daucourt, directeur général des Pâtissiers de Touraine. L’entreprise Les Pâtissiers de Touraine fabrique des pâtisseries fromagères et des soufflés vendus au rayon fromages en libre-service. Le télétravail a donc été impossible pour les salariés en production. Depuis la fin du mois de mars, le site tourne trois à quatre jours par semaine, contre cinq habituellement.

Comme sur tout site agroalimentaire, des mesures d’hygiène étaient déjà imposées. Elles ont juste été renforcées : prise de la température à l’arrivée et à la sortie du salarié, port du masque obligatoire, accueil fermé aux personnes extérieures à l’entreprise, gel hydroalcoolique mis à disposition… « Elles seront maintenues jusqu’à la fin de l’année », précise Jean-François Daucourt. La direction et l’équipe dirigeante ont choisi de se déplacer tous les jours sur le site : « Nous ne voulions pas que les salariés s’assimilent à des cols-bleus envoyés au charbon », explique le directeur. Sur les deux mois de confinement, une baisse d’activité de 30 % a été observée. Les produits fabriqués par l’entreprise étant considérés comme non essentiels, ils ont été délaissés à court terme par les consommateurs. L’activité a donc été partielle, et les salariés ont dû poser des RTT ainsi que des jours de congés payés. « La crise va engendrer un retard de six à douze mois sur les projets, notamment sur les innovations ou sur les rénovations de produits », détaille-t-il.

Il est à noter que l’entreprise a fait un don de 2 000 équipements de protection - des blouses, des charlottes et des masques - au centre hospitalier de Tours ainsi qu’à deux Ehpad.

Thierry Castel, vice-président de Sumi Agro France
LA DIGITALISATION S’EST ACCÉLÉRÉE PENDANT LE CONFINEMENT

L’entreprise Sumi Agro France, spécialisée dans la protection, dans la stimulation et dans la nutrition des cultures, est l’une des filiales européennes du groupe japonais Sumitomo Corporation. « Tous nos salariés étaient en télétravail pendant le confinement », indique Thierry Castel, vice-président de Sumi Agro France. L’entreprise n’a pas d’usine de formulation, et donc aucun site à gérer. « Les seize commerciaux ont utilisé la visioconférence et le téléphone afin de maintenir le lien avec leurs clients, des coopératives et des négoces, précise-t-il. Les débuts ont été déstabilisants car le commerce se base sur une relation de proximité. »

En plus, au printemps, la période est chargée pour Sumi Agro France car la campagne d’automne débute. Habituellement, l’équipe se réunit pendant deux jours pour ce lancement. Confinement oblige, ce rythme a été remplacé par quatre demi-journées en visioconférence. « Cela s’est bien passé, mais c’est frustrant de ne pas avoir les collaborateurs devant soi », ajoute Thierry Castel. Au début, l’inquiétude portait sur la logistique, maillon essentiel pour Sumi Agro France : « Les livraisons entre l’entreprise et les clients sont réalisées par le biais de prestataires qui ont pu maintenir la cadence habituelle, précise le viceprésident. Nos approvisionnements avec nos fournisseurs basés à l’étranger ont été réalisés dans les temps. » Sumi Agro France a profité de cette période de confinement pour former ses collaborateurs au digital et aux réseaux sociaux. Grâce à des formations en ligne, les équipes ont perfectionné leurs connaissances sur Teams et ont appréhendé les fonctionnalités de groupe. Ce moyen de visioconférence, utilisé une à deux fois par mois en temps normal, est devenu un outil quotidien et fiable. « Les craintes initiales sur des soucis de connexion se sont vite apaisées », indique Thierry Castel. Sumi Agro France a également formé ses collaborateurs à Twitter afin de garder le contact avec la distribution et avec les agriculteurs. « C’était une volonté de l’entreprise d’initier aux réseaux sociaux ceux qui n’avaient pas franchi le pas et de perfectionner les autres. Le confinement a permis d’avoir le temps nécessaire pour s’y mettre », précise-t-il. L’ambition est d’utiliser Twitter comme un vrai outil de communication pour l’entreprise, avec des objectifs pour chaque salarié. « Nous avons également choisi de former certains de nos collaborateurs sur des outils internes tels que la nouvelle version de notre ERP1, détaille le vice-président. Ces efforts de digitalisation n’ont toutefois pas constitué le seul objectif ; nous avons également réalisé des formations en ligne à forte dominante agronomique pour préparer nos équipes à aborder de nouveaux marchés. » Les contraintes et les incertitudes liées au contexte de pandémie ont renforcé un élément primordial : la disponibilité physique en produits de protection de culture. « Ainsi, la distribution nous interroge de façon plus marquée que d’habitude sur le(s) sourcing(s) des matières actives, et sur la disponibilité des produits formulés (capacité à livrer, localisation des sites de formulation…) », détaille Thierry Castel.
(1) Progiciel de gestion intégré.

Nicolas Georget, directeur de la FDSEA 62
UNE ENQUÊTE SUR LE RESSENTI DES SALARIÉS

À la FDSEA 62, le confinement a été anticipé dès le 14 mars, le samedi précédant l’annonce du président de la République. Sa mise en place a donc été efficace : « Dès le lundi, les salariés ont récupéré leur matériel informatique et ont téléchargé les fichiers, indique Nicolas Georget, directeur de la FDSEA 62. En fin de journée, tout le monde était opérationnel en télétravail. » Le directeur a sélectionné Zoom parmi trois outils de visioconférence. Ainsi, chaque équipe pouvait échanger régulièrement. Des visioconférences entre les services ont eu lieu deux fois, à la demande de certaines personnes qui avaient besoin de maintenir de la convivialité.

Le confinement est arrivé en pleine période des déclarations Pac où habituellement les animateurs de la FDSEA reçoivent les agriculteurs. Une nouvelle façon de travailler a donc été mise en place : les rendez-vous physiques ont également été remplacés par des visioconférences. Nicolas Georget a souhaité sécuriser les transferts de données des agriculteurs par le biais de Supremo, un outil de prise en main de l’ordinateur à distance. Ainsi, ces derniers pouvaient voir en direct les manipulations réalisées par les animateurs sur Télépac. « Ils ont fortement apprécié cette nouvelle fonctionnalité, qui sera proposée lors de la déclaration Pac 2021 », évoque le directeur. En parallèle, d’autres services – comme le juridique – ont été un peu moins sollicités. Chacun s’est donc organisé : par exemple, en avril, 40 % des ETP étaient en RTT ou en congés payés. Cette période a permis de réaliser des missions d’ordinaire impossibles comme la création d’un trombinoscope des élus. Le directeur a renforcé le suivi hebdomadaire : il était désormais à compléter de façon plus détaillée par demi-journée. « Cela permet de justifier ce qui est fait lors du télétravail, indique-t-il. Pour certains salariés, c’était comme un mémo de travail, mais pour d’autres, cela s’est avéré plutôt une corvée. » À la question « comment les salariés ont-ils vécu le confinement ? », la réponse est nuancée : « Il n’y a pas de corrélation entre l’âge du salarié et son ressenti, détaille Nicolas Georget. Certains plus jeunes ont moins bien vécu car ils avaient le sentiment d’être isolés. Des salariés ont même demandé à revenir au bureau. Et des plus âgés se sont, par exemple, bien adaptés à ce nouveau mode de travail. » La difficulté a été d’adapter le management aux cas individuels. « Il existe une porosité entre le professionnel et le personnel, constate-t-il. Certaines personnes n’apprécient pas être devant la caméra chez eux. Il faut donc faire attention à ne pas trop l’imposer. » D’ailleurs, lorsqu’il organise une visioconférence, il prévient ses équipes au préalable afin que chacun puisse l’anticiper.

Au 18 mai, une semaine après le déconfinement, 10 % des effectifs étaient de retour au bureau, tout en gardant une partie de leur emploi du temps en télétravail. Début juin, le directeur prévoit de réaliser une enquête auprès de ses collaborateurs sur leur vécu pendant le confinement. Elle sera facultative, et, si besoin, anonyme. Les réponses seront traitées par les délégués du personnel, puis la direction réalisera la synthèse avec eux.

Maximilien Carré, directeur général du groupe Carré
RASSURER ET ÉVITER LA PANIQUE

Le 16 mars, des fake news circulaient sur un confinement drastique, ce qui a entraîné un rush dans les silos du groupe Carré, négociant situé dans les Hauts-de-France. « Les agriculteurs sont venus retirer leurs engrais commandés pour toute l’année, alors qu’habituellement, ils récupèrent leur commande en trois fois, détaille Maximilien Carré, directeur général du groupe éponyme. D’autres qui n’avaient pas commandé sont également venus, car ils craignaient une fermeture. » Le négoce les a rapidement informés qu’il n’y aurait ni de rupture de produits ni de fermeture. Le personnel a rapidement mis en place des affichages sur les interdictions de rentrer dans les bâtiments et sur les consignes de sécurité. Pendant trois jours, Maximilien Carré, accompagné par la responsable QHS et le responsable exploitation, a visité tous les silos du groupe pour vérifier que les règles de sécurité étaient appliquées. Il a également fallu user de pédagogie afin de rappeler à chacun les particularités des équipements de protection, comme le masque ou encore la visière. Les chauffeurs ont reçu le matériel afin de nettoyer leur camion, du gel hydroalcoolique, des bidons d’eau avec du savon ainsi que des masques. Le négoce avait également recommandé à ses technico-commerciaux de réaliser les tours de plaine seuls, puis d’informer l’agriculteur sur ce qu’ils avaient vu. « Toutefois, si le client souhaitait y participer, il devait s’y rentre de façon indépendante et respecter les mesures de distanciation sociale », précise-t-il. Cette période a permis d’optimiser certaines pratiques. « Auparavant, certains technico-commerciaux passaient beaucoup de temps pour réaliser un tour de plaine. À présent, ils peuvent en faire jusqu’à dix en 1 h 30 », souligne le directeur. Le personnel du siège est passé au télétravail. Initialement, Maximilien Carré y était réticent, mais le confinement lui a fait changer d’avis : « Pour certaines tâches comme des sujets opérationnels, nous gagnons en productivité. En effet, les personnes ne sont pas déconcentrées et elles organisent leur temps, évoque-t-il. En revanche, pour ce qui relève de l’échange, des process et de l’innovation, le télétravail est plus compliqué. » Au sein du groupe Carré, le télétravail a été incitatif dès le 16 mars pour les personnes travaillant au siège social. Au 19 mai, 75 % de l’effectif y sont toujours. Pour la suite, il n’est pas exclu que le télétravail rentre dans les normes, de façon limitée. Quant aux recrutements, ils ont été maintenus pendant le confinement : les pré-entretiens ont été réalisés en visioconférence. « Les premiers entretiens en face-à-face ont repris la deuxième quinzaine d’avril, tout en respectant les mesures de distanciation sociale », indique le directeur.