Management : Redonner du sens au travail
Depuis la crise sanitaire, les salariés ne se sont jamais autant interrogés sur la valeur à donner à leur travail. Pour les retenir, les responsables RH doivent répondre à cette quête de sens. Cela passe par une réaffirmation des valeurs de l’entreprise, mais aussi par un suivi individuel.
À quoi sert mon travail ? Les périodes de confinement de la crise sanitaire ont été l’occasion pour un grand nombre de salariés de questionner l’intérêt et l’apport de leur travail. Si le personnel soignant et les travailleurs dits de la première ligne ont été salués à juste titre pour leur courage, qu’en est-il des autres professions dont l’utilité sociale n’est pas aussi spontanément démontrable ?
Au-delà la pandémie, la grande cause environnementale de ce XXIe siècle accélère cette introspection. Comment, dans mon quotidien professionnel, lutter contre le réchauffement climatique ? Ce questionnement n’est pas le seul fait des jeunes générations, les fameux « Millennials ». Une récente étude de l’Apec montre que l’ensemble des cadres accorde de l’attention à ces enjeux. Si le phénomène américain de Grande Démission n’a pas autant d’impact de ce côté-ci de l’Atlantique, le marché de l’emploi français n’est pas moins touché par une montée de turn-over sur fond de guerre des talents. Les DRH doivent donc être particulièrement vigilants à cette quête de sens et y répondre. Au-delà du risque de voir les salariés partir, un désengagement favorise le phénomène de bore-out (épuisement au travail dû à un ennui chronique) et l’absentéisme.
Utilité et épanouissement
Le sens au travail recouvre différentes dimensions. Au-delà de se sentir utile à la société, à la population ou aux clients, il y a la volonté d’être en cohérence avec ses aspirations personnelles et les valeurs prônées par l’entreprise. Le travail doit aussi contribuer au développement du collaborateur en lui permettant d’apprendre en continu, de participer aux prises de décision, de gagner en autonomie et, finalement, de s’épanouir professionnellement.
Exercer son métier dans de bonnes conditions, assurer un bon équilibre vie personnelle-vie professionnelle, percevoir une rémunération correcte, favoriser un management bienveillant participent aussi à l’engagement.
Clément Poirier, chercheur en psychologie et responsable du centre de recherche de Moodwork, rappelle aussi l’importance du lien social : « Animal social, l’homme a besoin de faire partie d’un collectif, d’échanger régulièrement avec ses pairs. »
La reconnaissance, qu’elle vienne du n+1, de la direction ou des collègues, est également essentielle à ses yeux. « Le simple fait de dire bonjour le matin est un signe de reconnaissance. Cette reconnaissance n’est pas forcément liée à l’accomplissement de tâches ou de missions. On peut saluer l’investissement d’un collaborateur même si l’objectif n’a pas été atteint. »
Des valeurs partagées
Quels leviers la fonction RH peut-elle actionner pour répondre à cette quête de sens ? Il s’agit tout d’abord de rappeler les missions et la vision stratégique de l’entreprise. « Ces valeurs doivent être fortes, affirmées et connues de tous, permettant à chacun d’y adhérer ou non, avance Clément Poirier.
Derrière, des actions concrètes doivent être engagées, poursuit-il. Le pire serait de rester au stade de l’effet d’annonce. » Depuis la loi Pacte, chaque société peut définir sa « raison d’être ». En une phrase ou un paragraphe, elle formalise ce qui fonde son identité et son rôle en faveur de la société ou du développement durable.
Il s’agit ensuite de décliner cette approche globale à un niveau individuel. Chaque collaborateur doit avoir une vision claire de son rôle et de sa contribution au sein de l’entreprise. Ses missions et ses objectifs peuvent être formalisés dans une fiche de poste et explicités par son manager.
Délimiter un rôle ne suffit pas. Les RH et le management doivent régulièrement revenir vers lui pour faire un point sur l’impact de ses actions, évoquer les pistes d’amélioration, mais aussi recueillir ses souhaits de formation et d’évolution.
Xavier BISEUL (Tribune Verte 2993)
Étude : LA CRISE SANITAIRE A RENFORCÉ LE QUESTIONNEMENT
Le récent sondage mené par Opinionway pour l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) a de quoi donner à réfléchir aux DRH. Quatre actifs sur dix envisageraient de quitter leur emploi pour un travail davantage porteur de sens dans les deux ans à venir. La proportion est plus importante chez les jeunes, les managers et les femmes. Par ailleurs, deux actifs sur dix déclarent s’interroger davantage sur le sens de leur travail depuis la crise sanitaire. L’enquête met en avant un hiatus entre la représentation idéale qu’ont les personnes interrogées d’un travail porteur de sens et la réalité qu’ils vivent. Elles déplorent une rémunération (34 %) et une reconnaissance (32 %) insuffisantes, souhaiteraient pouvoir davantage s’épanouir et progresser dans leur carrière (31 %), s’exprimer et faire des propositions sur leur travail (23 %). Les actifs français aspirent à des pratiques managériales plus en accord avec leurs valeurs (32 %) et à de meilleures conditions de travail (24 %). Enfin, ils veulent avoir un impact positif en matière d’écologie (36 %).
En quête de sens
Avis d’expert : « LES MOMENTS DE CRISE FAVORISENT LA QUÊTE DE SENS »
Clément Poirier, chercheur en psychologie et responsable du centre de recherche de Moodwork
Quels grands enseignements tirez-vous de la récente étude de Moodwork sur le sens au travail ?
Clément Poirier : 82 % des répondants considèrent que leur travail est très important pour eux, alors qu’à peine la moitié trouve que celui-ci est porteur de sens. Si l’on segmente par l’âge, les personnes plus âgées donnent davantage d’importance au travail que les plus jeunes, qui lui accordent une place moins centrale. L’ancienneté crée de l’attachement au travail. En avançant en âge, on se définit davantage par rapport à sa situation professionnelle qu’en début de carrière.
L’étude montre, par ailleurs, qu’il n’y a pas d’effet direct entre la sécurité de l’emploi et un salaire élevé sur le sens perçu de son travail. Ce n’est pas parce que j’ai un salaire signifiant que je trouve plus de sens à mon travail. Des soignants mal payés, aux conditions de travail éprouvantes, peuvent néanmoins estimer effectuer un travail qui a un impact positif sur la société, leur accorde une reconnaissance sociale. De même, le fait d’exercer un métier en CDD ne lui donne pas moins de sens.
Quels impacts la crise sanitaire a-t-elle eus dans cette quête de sens ?
C. P. : Elle a servi de révélateur. Lors des périodes de confinement, les salariés ont pu sortir la tête du guidon et s’interroger sur le sens de leur travail. Le temps libéré leur a permis de réfléchir, de faire un bilan de compétences, de développer de nouvelles compétences.
Cette période d’introspection a aussi permis aux salariés de mettre en évidence ce qu’ils ne souhaitaient plus subir, comme un management toxique. La crise a, par ailleurs, distendu le lien social. Loin du bureau et des collègues, il était plus facile de mettre le travail à distance et de changer d’emploi.
De manière générale, les moments de crise sont propices à s’interroger sur ce qu’apporte son travail à la société. Durant la pandémie, les travailleurs de première ou de deuxième ligne ont été mis à l’honneur. Mais qu’en est-il des travailleurs de troisième ligne à l’utilité plus questionnable ? Par ailleurs, est-ce que je suis toujours en phase avec mes ambitions professionnelles de jeune diplômé ?
Plus la crise est importante, plus nous questionnons notre utilité au travail. Le défi du réchauffement climatique est particulièrement prégnant. Comment, par mon travail, je peux agir pour réduire l’empreinte carbone ? Les jeunes actifs sont davantage sensibilisés à ces préoccupations environnementales.
Que change l’organisation du travail en mode hybride ?
C. P. : Elle rend plus difficile d’entretenir des relations d’affiliation et de management. Il faut pouvoir poser des règles claires et partagées. Est-ce que c’est deux ou trois jours de télétravail par semaine ? Y a-t-il un roulement ou pas ? À la différence du 100 % télétravail, le mode hybride permet de garder des moments conviviaux et informels en présentiel. Les gens ont d’autant plus de plaisir à se retrouver que ces moments sont rares. Dans notre étude, le critère du télétravail n’a pas d’impact sur le sens au travail dans la population étudiée. En revanche, si on segmente par âge, il apparaît qu’il y a un lien chez les plus jeunes entre télétravail et sens du travail. Ce lien ne semble pas se retrouver au-delà de 35 ans. On peut supposer que le travail à distance favorise, à leurs yeux, la mobilité, un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.