Obligation d’emploi des personnes handicapées : Une loi qui change la donne
Avec seulement 3,4 % de salariés en situation de handicap dans les entreprises et 1,2 % d’apprentis, le Gouvernement a souhaité réformer en profondeur l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés. Les objectifs sont de développer les compétences et l’accès à l’emploi durable des personnes handicapées, et d’élargir la palette des outils existants. Nathalie Deunier, référente handicap à l’APECITA, revient pour nous sur les principaux changements induits par la réforme, qui interviendront dès le 1er janvier 2020, avec des modalités transitoires prévues jusqu’au 31 décembre 2024.
La loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » réforme l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH). Pouvez-vous nous présenter les grands changements induits par cette loi ?
Nathalie Deunier : Les décrets d’application, publiés le 27 mai dernier, vont en effet bouger les lignes concernant l’OETH. Il y a plusieurs changements importants. L’une des principales nouveautés porte sur le barème de calcul de la contribution, selon les effectifs de chaque entreprise : ce dernier ne sera plus fait au niveau des établissements. Désormais, tous les employeurs seront mobilisés. Actuellement, seules les entreprises employant au moins vingt salariés sont concernées par l’OETH. Demain, tous les employeurs, y compris ceux occupant moins de vingt salariés, devront déclarer les travailleurs handicapés (TH) qu’ils emploient. Cependant, seuls les employeurs de vingt salariés et plus seront assujettis à l’obligation d’emploi de 6 % de TH, et devront verser une contribution en cas de non-atteinte de cet objectif. Ainsi, le taux d’emploi de 6 % est maintenu, et n’est pas remis en cause par cette loi. Ce sont les modalités de calcul qui changent. En revanche, ce taux pourra être révisé tous les cinq ans, pour tenir compte de la part des travailleurs handicapés sur le marché du travail. Autre mesure importante : le quota de 6 % ne pourra se faire que par des emplois directs1. Actuellement, le recours à la sous-traitance auprès des entreprises adaptées, des établissements ou services d’aide par le travail ou des travailleurs indépendants handicapés est une modalité d’acquittement de l’OETH. Avec la réforme,
il restera valorisé sous la forme de déduction de la contribution. L’entreprise cliente pourra donc déduire de sa contribution 30 % des coûts de main-d’oeuvre issus de la facture de l’entreprise adaptée.
La déclaration obligatoire d’emploi des travailleurs handicapés (DOETH) va également évoluer ?
N. D. : En effet, jusqu’à présent, la DOETH était réalisée par télé-déclaration ou par papier par les employeurs qui devaient manipuler jusqu’à cinq formulaires et renseigner jusqu’à une centaine de rubriques. Avec cette réforme, la DOETH sera réalisée à travers la déclaration sociale nominative (DSN), ce qui permettra d’alléger les tâches administratives des entreprises. Les informations sur les salariés handicapés seront ainsi transmises chaque mois aux organismes de Sécurité sociale (Urssaf ou MSA) grâce aux données de la paie.
Qu’en est-il du recouvrement de la contribution?
N. D. : Actuellement assuré par l’Agefiph (l’association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées), il le sera désormais par les Urssaf et les caisses MSA, comme c’est le cas pour les autres contributions sociales.
Cela permettra aux entreprises d’avoir un unique interlocuteur qui sera chargé de reverser le montant de la collecte à l’Agefiph. Quant au calcul de la contribution, les entreprises bénéficieront d’un dispositif transitoire jusqu’en 2024, qui leur laissera le temps de faire évoluer leur politique handicap, et de se conformer à la nouvelle obligation d’emploi. Ces changements suscitent des interrogations
et des inquiétudes auprès des employeurs.
Comment peuvent-ils se faire accompagner sur cette question du handicap ?
N. D. : Les entreprises pourront trouver conseil auprès des nouveaux acteurs de la collecte que sont les Urssaf et les caisses MSA. Afin d’aider les entreprises dans cette période transitoire, l’Agefiph va mettre en ligne un simulateur de contribution sur son site Internet www.agefiph.fr. Il permettra aux employeurs de connaître le montant de la contribution qu’ils auront à payer selon les nouvelles modalités de calcul.
D’autres mesures d’aide sont-elles mises en place pour les entreprises recrutant des personnes en situation de handicap ?
N. D. : L’Agefiph propose en effet des aides destinées à faciliter aussi bien le recrutement et l’insertion de personnes handicapées,
que le maintien dans l’emploi de salariés devenus handicapés ou dont le handicap s’aggrave. Il est également possible de prétendre à des aides et des prestations destinées à compenser le handicap dans l’emploi. On peut ainsi citer l’aide à l’accueil, à l’intégration et à l’évolution professionnelle des personnes handicapées. D’un maximum de 3 000 euros, elle a pour objectif d’accompagner la prise de fonction et l’évolution professionnelle de la personne handicapée dans l’entreprise. Il existe également des aides au contrat de professionnalisation et d’apprentissage, ou encore des aides pour financer les moyens techniques, humains ou organisationnels permettant d’adapter un poste à un handicap. Cette liste n’est pas exhaustive, mais le site www.agefiph.fr les recense toutes.
Il reste la structure experte sur le thème de l’emploi des travailleurs handicapés et est en mesure de conseiller et d’accompagner les entreprises dans ces démarches. Sa mission est de favoriser l’emploi des personnes handicapées (les aider à trouver un emploi, à suivre une formation, à conserver un emploi ou encore à créer une entreprise). Elle est également en mesure d’aider les entreprises à inclure le handicap dans leur politique ressources humaines : sensibilisation, formation, recrutement, maintien dans l’emploi… Les entreprises peuvent d’ailleurs traduire cet engagement dans l’action en signant une convention de politique d’emploi avec l’Agefiph.
Quel est votre regard sur ces nouvelles applications ?
N. D. : Il ne faut pas oublier que l’un des objectifs de la loi est d’augmenter l’emploi direct des personnes handicapées. Ces mesures permettent de faire un pas en ce sens. Surtout, l’idée principale est de faire rentrer les handicaps dans le monde du travail, et plus largement dans la société. Le dispositif du référent handicap (voir ci-dessous) est une manière de représenter la question du handicap dans l’entreprise, de faire le lien entre les différents protagonistes : travailleur handicapé, service RH, médecine du travail, collègues… Et de faire ainsi du référent handicap un vrai métier ! Mais cette notion n’est pas nouvelle : en 2005, la loi pour l’égalité des chances imposait la création d’une mission handicap dans chaque université. L’objectif était de favoriser l’accès des étudiants en situation de handicap aux études supérieures. Leur nombre reste faible, mais ne cesse d’augmenter (entre 2005 et 2017, augmentation de 3,5 %2). Et si, justement, le vrai défi était de permettre un meilleur accès aux études et à la formation, pour ainsi faciliter l’accès à l’emploi ?
—— Propos recueillis par Aude BRESSOLIER (Tribune Verte 2917)
(1) CDD, CDI, contrats d’alternance, contrats de mise à disposition par une entreprise de travail temporaire ou par un groupement d’employeurs, stages rémunérés ou non, périodes de mise en situation en milieu professionnel (PMSMP)...
(2) Source : Les Échos.
En chiffres : L’EMPLOI DES PERSONNES HANDICAPÉES
- 79 % des entreprises privées de 20 salariés et plus emploient au moins une personne handicapée.
- 938 000 personnes handicapées sont en emploi, dont 73 % dans des entreprises privées, 15 % dans les secteurs publics
et 11 % sont indépendants. - Plus de 68 000 personnes handicapées ont (re)trouvé un emploi salarié, plus de 3 000 personnes ont créé leur entreprise, et près de 20 000 salariés ont pu conserver leur emploi avec l’aide de l’Agefiph.
Source : Agefiph (chiffres 2017)
Nouveauté : UN RÉFÉRENT HANDICAP DANS LES ENTREPRISES DE PLUS DE 250 SALARIÉS
Les entreprises de plus de 250 salariés devront nommer un référent handicap. Cette personne sera chargée d’orienter, d’informer et d’accompagner les personnes en situation de handicap, au sein de l’entreprise. Son rôle s’étendra également au personnel de la structure, afin, par exemple, de sensibiliser aux handicaps, ou de proposer des solutions concrètes d’aménagement de poste. Si cette mesure devient obligatoire pour les grandes entreprises, elle l’était déjà depuis le 1er janvier 2019 dans chaque centre de formation des apprentis.
Aller plus loin : HANDICAP, INVALIDITÉ, INAPTITUDE AU TRAVAIL : QUELLES DIFFÉRENCES ?
D’après le Défenseur des droits, le handicap n’a pas nécessairement de conséquences sur l’aptitude d’une personne à occuper un poste déterminé. Réciproquement, l’inaptitude n’est pas nécessairement liée à un handicap, mais peut être la conséquence d’un état de santé altéré ne rentrant pas dans la définition du handicap. L’inaptitude au poste est une incapacité physique ou psychique d’une personne à exercer tout ou partie de ses fonctions. Elle obéit à une procédure particulière régie par le Code du travail. Elle ne peut être établie que par le médecin du travail, qui l’assortit d’indications sur les éventuelles possibilités d’aménagement du poste ou de reclassement du salarié. L’inaptitude s’apprécie donc par rapport au poste occupé par le salarié. Quant à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), elle est délivrée par la Commission des droits et de l‘autonomie des personnes handicapées (CDAPH). La demande doit être déposée auprès des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). LA RQTH est reconnue à toute personne âgée de plus de 16 ans dont les possibilités d’obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l’altération d’une ou plusieurs fonctions, physique, sensorielle, mentale ou psychique. Ce qu’il faut surtout avoir à l’esprit, c’est que handicap ne rime pas toujours avec fauteuil roulant ou canne blanche. Loin de là ! Les handicaps dits « invisibles » sont en fait les plus nombreux. On parle d’invalidité quand, après un accident ou une maladie d’origine non professionnelle, la capacité de travail ou de gain est réduite d’au moins deux tiers, c’est-à-dire que le salarié n’est pas en mesure de se procurer un salaire supérieur au tiers de la rémunération normale des travailleurs de sa catégorie et travaillant dans sa région. La reconnaissance de l’invalidité par la Sécurité sociale permet de percevoir une pension en compensation de la perte de salaire entraînée par l’état de santé.