Recrutement : Les salariés boomerang, une solution à la pénurie de compétences ?

Recrutement : Les salariés boomerang, une solution à la pénurie de compétences ?

Depuis la crise de la Covid, le phénomène des collaborateurs qui réintègrent leur ancienne entreprise s’est amplifié. Une aubaine dans le contexte actuel de guerre des talents. Quelles bonnes pratiques mettre en oeuvre pour sécuriser leur retour et capitaliser sur l’expérience acquise ?

Ils sont allés voir si l’herbe était plus verte ailleurs et sont revenus. Si le phénomène des salariés dit boomerang n’est pas nouveau, il s’est très nettement accentué avec la crise sanitaire. Depuis 2019, le nombre de salariés en France retournant travailler chez leur ex-employeur a bondi de 36 % selon le réseau social professionnel LinkedIn, qui base son constat sur les parcours de ses membres.

Propice à requestionner la quête de sens au travail, la pandémie a donné des envies de départ à un grand nombre de salariés – on a parlé de Grande démission aux États-Unis – et certains l’ont regretté par la suite. Des démissionnaires ont rapidement été nostalgiques de l’ambiance au travail et des visages familiers de leurs anciens collègues. L’époque anxiogène appelant plutôt à renforcer les liens sociaux.

Un retour gagnant…

Dans le contexte actuel où les entreprises peinent à recruter et à conserver leurs talents, elles auraient tort de se priver de ce phénomène des salariés boomerang qui vient élargir le vivier de candidatures potentielles.

Recruter un ancien salarié présente, sur le papier, un grand nombre d’avantages. Cela limite tout d’abord les risques de casting. Contrairement à une nouvelle recrue, le fils prodigue connaît les métiers de l’entreprise, sa culture, ses valeurs, son management, son écosystème. Il est plus immédiatement opérationnel.

« Le salarié revient en connaissance de cause, pas sur un coup de tête, complète Rémi Malenfant, directeur de l’innovation RH et de l’expérience client d’UKG. C’est, a priori, un choix raisonné qui l’engage sur la durée. En changeant d’entreprise, le collaborateur s’est par ailleurs confronté à de nouveaux outils, de nouvelles procédures. Il revient avec des idées, une motivation réelle dans un cadre connu. »

…mais encadré

Pour l’expert, un employeur aurait tort de passer à côté de cette source de talents et a tout à y gagner à faire le premier pas. Pour autant, réintégrer un ancien salarié suppose un certain nombre de prérequis. Il convient tout d’abord de tirer un trait sur le passé.

Un entretien préliminaire permettra de revenir sur les causes objectives du départ – une augmentation de salaire, une opportunité d’évolution de carrière, un nouveau challenge. L’objectif est de déminer tout conf lit larvé, non réglé à l’époque, et qui pourrait reprendre de plus belle.

Non seulement il est important de comprendre pourquoi le salarié est parti mais aussi ce qui le fait revenir. Quels sont ses attentes et ses souhaits ? En contrepartie, il s’agit, en toute transparence, de ne rien cacher de la réalité. Le temps ayant fait son effet, le collaborateur a peut être gardé une vision idéalisée de son entreprise. En son absence, celle-ci a, de son côté, évolué, ses processus et son organigramme changé. Un ancien collègue a pu être promu au poste qu’il convoitait.

Dans l’idéal, les deux parties ont tout à gagner à valoriser l’expérience professionnelle acquise entretemps par le salarié. Chez la concurrence, il a pu découvrir de nouvelles méthodes de travail, de nouveaux outils. Réintégrer l’ancien salarié au poste qu’il occupait à son départ ne permettra pas forcément de capitaliser sur cet enrichissement. Inversement, le faire monter en grade pourrait être mal vécu par ses anciens collègues. Ils n’ont pas eu cette chance alors qu’ils sont, eux, restés fidèles à l’entreprise. Ce sentiment de trahison pourrait entraîner des démissions, soit le contraire de l’objectif recherché.

— Xavier BISEUL (Tribune Verte 3010)

Étude : DES REGRETS MAIS ASSEZ PEU DE RETOURS

D’après une enquête publiée en avril 2022 par UKG, 60 % des Français qui ont démissionné durant la crise du Covid reconnaissent qu’ils se sentaient mieux dans leur emploi précédent et 63 % pensent avoir démissionné trop vite. Pour autant, seuls 13 % sont retournés chez leur précédent employeur. En revanche, deux démissionnaires sur cinq envisagent de changer à nouveau d’emploi. Le fait de ne pas se sentir valorisé est la première raison de départ des démissionnaires. Quand on leur demande ce qu’ils regrettent le plus dans leur ancien poste, ils citent les collègues (38 %), le confort lié à la connaissance du poste (31 %), le service aux clients et ce, avant la rémunération (19 %) et l’équilibre vie professionnelle/vie privée (16 %).

Avis d’expert : « UN COLLABORATEUR A TOUT SIMPLEMENT PU AVOIR EU ENVIE D’AILLEURS »

Rémi Malenfant, directeur de l’innovation RH et de l’expérience client d’UKG

Pourquoi la crise sanitaire a amplifié le phénomène des salariés boomerang ?
Rémi Malenfant : Les périodes de confinement, le chômage partiel et le télétravail forcé ont conduit beaucoup de salariés et, pas seulement les cols blancs, à s’interroger sur le sens de leur travail. Comme le montre notre étude, cette phase d’introspection a conduit certains à démissionner parfois un peu vite et pour des raisons externes à l’entreprise, comme la volonté de se reconcentrer sur leur famille. Quand on leur demande ce qu’ils regrettent le plus dans leur ancien poste, ils citent leurs collègues. Plus généralement, ce sont les interactions sociales avec les collègues mais aussi les partenaires et les clients qui manquent.

Comment maintenir le lien avec les anciens salariés ?
R. M. : Il faut professionnaliser l’entretien de départ. Vu comme un processus administratif, il est généralement réalisé par un responsable RH, voire par le salarié seul qui saisit un logiciel, plus rarement par le manager. Ce manager met souvent de l’affect dans un départ qu’il ressent comme une forme de trahison. Il doit arriver à objectiver les causes de démission qui ne sont pas nécessairement liées à son management. Le collaborateur a tout simplement pu avoir eu envie d’ailleurs. Le manager doit favoriser un dialogue franc et ouvert et garder le contact avec ceux qui sont partis. Il doit aussi communiquer auprès des salariés restants sur les raisons réelles du départ, afin d’éviter toute mauvaise interprétation. On note aussi le développement de réseaux d’anciens qui ne sont plus le seul fait des entreprises. Le digital facilite les échanges en multipliant les canaux d’interactions.

Comment réintégrer un salarié boomerang ?
R. M. : Le processus de recrutement ne peut pas être géré de la même manière. Cela serait étrange de se comporter comme si les deux parties ne se connaissaient pas. L’employeur peut se permettre d’avoir une conversation plus franche qu’avec un candidat lambda. Il s’agit de lui demander les raisons de son souhait de retour, ce qu’il a appris entretemps. De son côté, l’entreprise a aussi évolué en son absence. L’organigramme, les outils, ont peut-être changé. De même, le salarié boomerang ne suivra pas le parcours d’intégration traditionnel. Il faut prévoir un processus de ré-onbaording spécifique. Doit-il retrouver son poste à l’identique ? Pour les métiers à forte expertise, cela peut faire sens. Dans les autres cas, il s’agit idéalement de changer le périmètre fonctionnel,  de confier de nouvelles responsabilités, pour capitaliser sur l’expérience acquise. On peut aussi lui demander de rédiger un rapport d’étonnement sur les évolutions positives et négatives de la société qui sont intervenues depuis son absence. Il apportera un point de vue extérieur qui n’est… pas complètement extérieur.