« Une filière chanvre française structurée et dynamique »
La France est le leader européen dans la production de chanvre. Une culture qui s’inscrit dans une démarche respectueuse de l’environnement, aussi bien dans sa production que dans ses débouchés.
Nathalie Fichaux, directrice d’InterChanvre, nous présente la filière française.
Comment se structure la filière chanvre en France ?
Nathalie Fichaux : L’interprofession, baptisée InterChanvre, existe depuis 2003. Elle regroupe les producteurs de chanvre par le biais de la Fédération nationale des producteurs de chanvre (FNPC), ainsi que les industriels du chanvre, au nombre de six en France. Ces derniers s’occupent notamment du défibrage de la plante. Parallèlement, nous nous engageons auprès de l’État sur un plan d’action à trois ans, formalisé sous le nom de plan filière chanvre. Nous faisons ainsi des points réguliers avec le ministère de l’Agriculture pour faire avancer notre filière. Les actions de l’interprofession sont financées par les agriculteurs grâce à la contribution volontaire obligatoire (CVO), payée lors de l’achat de la semence. Nos objectifs sont de fédérer les acteurs de la filière, de gérer la partie recherche et développement en amont comme en aval, ainsi que de promouvoir et de représenter le secteur auprès des politiques ou des médias. Nous essayons de motiver l’ensemble des industriels à innover de plus en plus.
Quels sont les débouchés du chanvre ?
N. F. : Il y a bien sûr les isolants ou encore les bioplastiques, avec, par exemple, le remplacement de la fibre de verre par la fibre de chanvre dans l’industrie automobile. Les tableaux de bord peuvent être allégés de 20 à 30 % et sont recyclables jusqu’à dix fois, ce qui n’est pas possible avec la fibre de verre. Début 2019, nous étions à un million de véhicules équipés contre trois millions et demi aujourd’hui. On en retrouve chez de nombreux constructeurs : Renault, Peugeot, Alfa Romeo, mais aussi dans les véhicules des marques allemandes. Nous sommes développés dans l’industrie de la plasturgie et dans celle du bâtiment, par le biais de l’association Construire en chanvre, pour laquelle je suis secrétaire générale. Ces dernières années, nous avons beaucoup promu la construction avec ce matériau, grâce à de nouveaux procédés de préfabrication. Cela nous a permis de postuler pour les villages olympiques des prochains Jeux de 2024. Une partie de ces villages sera construite en béton de chanvre et structure bois. L’industrie des isolants à base de chanvre possède un coefficient multiplicateur à deux chiffres depuis quatre ans.
Quels sont les chiffres clés de la production ?
N. F. : En France, il y a 1 500 producteurs de chanvre qui cultivent une surface de 17 000 hectares. Cela représente une production de 100 000 tonnes de paille et environ 17 000 tonnes de chènevis, qui est la graine. Nous avons à peu près 150 producteurs de semences et autant de postes dans les six chanvrières. Nous sommes sur une dynamique très forte avec beaucoup de recherche et développement ainsi que d’investissements. Depuis les années 1950, nous avons investi aux alentours de 100 millions d’euros dans la filière. Pour 2019-2020, les investissements sont de 35 millions d’euros. Il y a notamment la chanvrière de l’Aube, qui vient d’investir dans un nouvel outil industriel à 22 millions d’euros, ou encore l’entreprise qui s’occupe de la génétique, qui a injecté 8 millions d’euros dans un outil de recherche.
Avez-vous d’autres potentiels de développement pour la culture ?
N. F. : Puisque nous avons bien avancé sur le développement du marché de la construction, nous avons pour objectif de nous élargir au domaine alimentaire, car la graine de chanvre est un superaliment. C’est la deuxième graine la plus protéinée et son huile est l’une des rares à posséder le rapport idéal entre les oméga-3 et les oméga-6.
La mise en place en France de l’expérimentation du cannabis thérapeutique peut-elle être une nouvelle opportunité pour la filière chanvre hexagonale ?
N. F. : Nous travaillons avec une entreprise à ce sujet. Ce qu’il faut savoir, c’est que si l’on traite tous les patients français avec le cannabis thérapeutique, nous n’aurons besoin que de sept hectares de serre. Ce n’est pas le nouvel or vert. Il est, certes, important que nous soyons présents pour créer une nouvelle filière, mais je ne pense pas que cela va révolutionner le monde agricole. Pour obtenir une molécule stable, la culture doit se faire en atmosphère contrôlée et donc surtout pas en plein champ. Le fait de cultiver en intérieur permet au minimum quatre rotations dans l’année, ce qui justifie que sept hectares sont suffisants pour les besoins français. Les investissements sont plus lourds que pour une culture en plein champ. Aujourd’hui, nous ne savons pas si cela va être autorisé ou non. Nous essayons d’intervenir auprès des ministères et des députés afin que l’on puisse produire des molécules en France en cas d’autorisation. Pour le moment, les expérimentations françaises de cannabis thérapeutique utilisent des molécules étrangères. Nous sommes le premier pays producteur de chanvre en Europe, il est donc dommage de ne pas avoir aussi l’autorisation d’expérimenter pour produire les molécules chez nous.
—— Willy DESCHAMP (Tribune Verte 2933)
Culture : UNE PLANTE PLEINE DE BÉNÉFICES
Le chanvre possède des atouts intéressants, tant pour l’agriculteur – du point de vue agronomique – que pour l’environnement, comme le précise Nathalie Fichaux : « Le chanvre est une culture qui ne nécessite ni produit phytosanitaire ni irrigation. De plus, elle est sans OGM. Comme la plante pousse extrêmement vite, elle étouffe toutes les mauvaises herbes et dispense ainsi d’un désherbage. Par ailleurs, elle n’a pas besoin d’insecticides, car elle repousse naturellement un grand nombre d’insectes. C’est aussi une excellente tête de rotation. Semée en avril ou en mai et récoltée en septembre, sa forte biomasse va permettre de fertiliser les sols lorsque ses feuilles vont tomber durant l’été. On estime le gain de rendement pour la culture suivante de 8 à 10 %. Son système racinaire, à peu près aussi grand que la plante, va structurer le sol en allant chercher l’eau en profondeur. Enfin, un hectare de chanvre est capable de capter 15 tonnes de CO2 soit autant qu’un hectare de forêt. »